Mon coeur plein d'eau et mou au fond de l'eau, noyé dans le bonheur. Le quotidien est désormais démultiplié: les nuits se passent en général au fond du Rhône, dans notre appartement sur la Place Lyautey, le matin arrive sur les afluents du Gier au fond d'un train express qui fait tomber mon café, puis certains soirs se fanent au dessus de l'Isère, en dessous des glaciers. C'est l'hotel à la fois miteux et vintage des Patinoires. La chambre 16, sa grande baignoire verte, son décor éternel des années 80. Mes cartons de pizza s'amassent sur la moquette. En bas les boutiques de tattoo s'alignent en file indienne. Les jours sont fait d'errance sous les montagnes et les baies vitrées, de bâtiment durable dans des salles surchauffées, de froid qui me saisi aux larmes dans les grands escaliers.
Sous les vaguelettes d'eau froide et de feuilles d'automnes, mon bras s'agrippe à la rive.
Hormis cette semaine étrange de sociabilités, une solitude solide s'invite dans mon nouveau bureau aux trois petites fenêtres. Posé sur la place du village, un donjon des années soixante abrite mon antre grise où je découvre en un jour le statut de prisonnière, et à travers la vitre, toutes les nuances de lumière, jusqu'à la nuit noire à dix-huit heures l'hiver.
En vampire amoureux, c'est le Rhône que je bois, la nuit Lyon. Là bas ta peau, avide, enfantine et rosie, mon armure dans ce froid, mon havre dans le chaud. J'ai le cœur plein de ces eaux multiples, boueuses et torrentielles, charriant quelque chose de muet qui tente de se dire, quelque chose pour expliquer pourquoi dès que je prends le train je ne rêve que de revenir.