Archive for juin 2011

Abroad

20 juin 2011 Comments Off

Côte sauvage, juin 2011

Mettre en abyme ces heures où je suis un hors-moi continuel. Il faut continuer à avancer sur cette jetée plus dangereuse que le Trou de l'enfer, et ces paysages de désolation le long de la vallée. Ne garder que ces enchevêtrements de sable à sable où l'on se bat contre le temps. Je griffe ta peau, dans les draps nous sommes deux poissons fous d'amour. Je veux cette violence toute contenue en moi qui m'assaillit et me dévore, je la veux au dehors. Je finis par passer contre toi des nuits longues et paisibles à humer cette odeur d'enfant et de douceur qui m’enivre et me rassure, m'accompagne jusqu'au lit de l'autre coté du pays.

Paris mon escale est crépusculaire à vingt-deux heures. Jaillissant d'un train je cours à perte haleine vers un autre TGV. Bientôt viendra le temps des avions, des aéroports où l'on se quittera. Et puis plusieurs mois froids. Je pensais passer l'été à attendre qu'il se finisse, et voilà que l'automne apparait aussi comme une écharde que j'aurais hâte d'ôter. Une balafre de plus, des mois supplémentaires. De l'autre coté de la mer je me consume mollement jusqu'à m'éteindre à deux genoux. Dans cette ville fauve et suffocante. L'espoir de fuite s'amenuise, il faut aménager la peine, travailler encore elle rêve de vacances.

Partagée entre l'envie de me murer en toi et la nécessité de construire une existence qui peine à trouver un sens au solitaire. Partagée entre le désir de descendre du train, de courir sur le quai et de te rattraper, de m'enfouir entre ton cou et ton col. Laisser mon sac partir à Paris Montparnasse, et avec lui ce sentiment insupportable de vivre une vie incomplète. Rentrer avec toi et nous retrouver à Trentemoult à manger la pêche du jour avant un verre au hangar à bananes. Je rêve d'union et de solitude à la fois. C'est un des privilèges de la jeunesse, de vouloir se marier avec la terre entière et de désirer découvrir le monde entier.

Le baiser Modiano

16 juin 2011 Comments Off

Caresser en pensée ce fond de coquillage, mettre la mer dans mes oreilles, me laisser porter dans le sable m'enfouir avec les algues m'enrouler de l'écume, devenir vague en vas et viens, le long d'une plage m'échouer doucement. Fermer les yeux sur ce morceau de soleil, faire de ces jours gris des tessons de lumière. Il s'agit d'oublier que je suis au fond d'un train immobilisé sous la pluie depuis dix-sept heures. Une fumée noire s'épanche entre deux rails que l'eau ne semble pas atténuer. Je sombre doucement dans le coma habituel dans un coin de compartiment. 

Le paysage est une tranchée de remblais où poussent des fleurs sauvages entre les pierres, une claustrophobie latente sème son petit chemin entre les wagons. Moi je m'en fous, j'ai mon laisser passer pour le bonheur demain. Les gares se succèdent et j'attends de t'attendre. Il est vingt-deux heures sur Lyon la nuit tombe doucement, on accoste le long du quai B, je suis sur le pont supérieur. Je prends le fauteuil duplex bas coté fenêtre pour pouvoir découvrir ta silhouette au loin sur le rebord. Ne pas rater une seule seconde de toi.

1976

15 juin 2011 Comments Off

Au fond de ma coquille de métal gris Alsthom 1976, je me souviens d'un soir d'hiver au milieu de la Guillotière, les pieds sur la chaussée au milieu d'une rue, on s'embrassait comme si le vent qui soufflait allait nous emporter de part et d'autre du ciel. A Grenoble, les amoureux roulent sur des petits chemins abrupts aux virages mortels pour finir en haut de la Chartreuse en pleine nuit, de là on voit la vallée de l'Isère illuminée jusqu'aux stations, petits lampions de chalets grimpants. Nous fumons et buvons des cocktails brésiliens en écoutant les rires des voisins qui mangent au restaurant panoramique, moi et quelques inconnus. Les gens sont collés deux par deux est-ce que c'est normal. Est-ce que c'est normal que moi je te regrette toujours quand les paysages sont si simplement beaux.

Dans le campus fantôme de Saint-Martin, les élèves ont déserté pour faire l'amour dans l'herbe et trainer dans les cafés. Il reste quelques femmes de ménages et des peintres essayant d'effacer quelques tags grotesques dans les amphithéâtres en ruine. J'erre comme je voguais mollement dans le vieux quartier nantais il y a quelques jours, le long des remparts du château de la Duchesse Anne. Et dans cette maison le long de l'Erdre où j'avais presque pris naturellement mes quartiers. Mais la vie semble être cette série de passages et de contemplation où rien ne se fixe jamais, où pour l'instant il faut attendre. Embouteillage sans fin de jours, d'horaires, je ne sais plus où se trouve le départ ni ou est le retour. 

Aujourd'hui au revoir le havre de paix de Lyon 6ème, qui n'était plus qu'un point d'eau ponctuel ces derniers moments. Reste un léger pincement, un dernier regard sur la petite cuisine bar, le parquet du salon. Fermer la porte sur les plus doux instants.

Coquille grise, Alsthom 76, et mes nouveaux amis. Une belge athlétique qui dors à poings fermés en souriant, et puis il y a Nabil qui me fait travailler l'anglais dans le jardin de ville à Grenoble, un café pris avec Hicham quand on était tous les deux perdus à Saint-Pierre-des-Corps, une bière avec François avant son train pour la Suisse à presque minuit dans Paris, quelques canadiennes qui viennent visiter La Baule quand moi je pleure sur mon verre d'eau. Cet inconnu un soir qui m'a donné cinq euros pour m'acheter un sandwich à Massy TGV, ces sourires, fugaces liens entre quelques rails. De retour au fond de l'anonyme lit d'un hôtel, d'un canapé, d'une chambre à nouveau remplie de mes affaires sans que je me sente ni chez moi ni en voyage, que reste-il. 

Il reste un message de Nabil pour savoir comment s'est passé l'anglais. Dehors, le soleil est haut, l'été arrive comme une échéance, une fin de ligne. Je lui ai dit tu sais cette année était terne, les plus beaux jours c'étaient ces échappées belles, et c'est triste de vivre par des photos et des instants volés. Je veux m'en aller, maintenant, s'il te plait. L'été arrive, elle, elle s'en va encore plus loin. Est-ce que je dois partir aussi ailleurs pour ne pas attendre à ce qu'on me fasse une place. Peut-être qu'il n'y a pas de porte à ouvrir, il n'y a pas de chez-nous, il n'y a que ces billets de trains entre nous, ces images d'océan, jolis jours. Sous l'abat-jour de mon Alsthom 1976 sans prises de courant, je pleure et on dirait qu'il pleut là sur Bourgoin-Jallieu.