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Et je ne me défends pas.

4 février 2013 Comments Off


Je n'ai plus aucun sens en éveil. J'écris à l'intérieur de moi, mais moi je suis ailleurs. Ça faisait quelques mois que ça commençait à hurler. Mais c'est resté à l'intérieur de moi. Ça ne semblait pas vouloir sortir, ça voulait rester là entre les côtes. Au chaud, agrippant ma trachée, puis tout au fond de mon tronc, jusqu'au bassin. Bien planté là, niché, conçu dans l'obscurité. Ça voulait se convaincre du contraire. Peut être parce que la vérité plait rarement.

Que faut-il faire de ce monde où tes rêves ne sont qu'un grand spectacle annulé à la dernière minute? La représentation était belle. Puis il n'y a pas de remboursement possible, pas de retour en arrière. Je le savais pourtant, je pressentais; je souffrais en avance - ça n'a servi à rien, je me suis lancée à corps perdu dans des diplômes qui font de moi exactement, précisément, celle que je ne souhaitais pas.  Pourtant on nait déjà quelqu'un, on ne le devient pas. On m'a façonné à l'envers tu vois. D'abord le cœur, et ensuite les viscères. Et maintenant je n'ai pas assez de cœur au ventre pour accepter ce grand esclavagisme. Je ne suis qu'un pantin, tout au plus un insecte sans mandibules, sans mains. Il faut se lever et regarder l'ensemble du monde s'affaisser, écouter les nouvelles d'une radio nasillarde au tout petit matin, regarder le lever de soleil sur le ring. Quel beau destin. Dévisager ces faces de faits divers, un par un. Une par une, ces basses médiocrités, cette prestation de charlatan, car le monde du travail n'est bien qu'une grande fumisterie.

On pense que j'ai "réussi". Je le met entre deux guillemets parce que ce genre de réussite je n'y crois pas : aujourd'hui on m'annihile, et je ne me défends pas. L’Europe se prostitue, moi aussi je me suis vendue dans un coin pour une filière qui fait de l'argent, on me donne un salaire pour mieux voler mon temps. Ma vie pourtant inestimable, on lui a mis un prix. Pour trente mille euros brut je mendie mon congé payé. Et je ne me défends pas. Je suis comme l'affamé au bord d'une île, je tourne en rond dans mon beau bureau gris, regarde par la fenêtre le grand bâtiment des assurances et sa façade polie toute en acier Corten. Les voitures continuent leur valse, et je m'enferme aussi dans mon triste habitacle.