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m.a.m.a

29 décembre 2014 Comments Off

Clic clic clic des réseaux, numérotation.
Bip bip bip de l'intersidéral, une voix.
Mon cœur se pend au bout d'un fil, glisse dessus comme une araignée supra-légère, habile, se téléporte dans un vortex infini, et juste au bout de la ligne, toi. Et mon aorte agrippée à cette onde, maman. Silence brouillé, recherche de satellite, connexion au cordon. Filiale, intense, voilà:  quelques secondes, voix dans la voix _à défaut de main dans la main_ maman es-tu vraiment là?

Les années passent sur ce rythme-là de logiciels, de est-ce que tu m'entends, de est-ce que tu m'écoutes, et de ça va couper,_ un jour ça coupera pour de bon. J'ai peur d'entendre au bout du compte ce vide complet et abyssal de ta réelle absence. La mort chez nous, c'est simplement ce numéro qu'on ne peut plus composer du tout.

Nous nous revoyons en hâte, il y a tellement de choses à faire, tellement à dire, j'ai soif de face à face, j'ai soif de tendresse, nous parlons de mariage, de chants napolitains, c'est un Noël étrange et plein d'espérance, c'est l'aube d'une ère maintenant bien différente. Mais je ne suis qu'un enfant sur le rivage, toujours heureuse de te revoir et malaisée à la fois. Le temps passe dans ce supra électronique qui nous facilite la vie, tout en éteignant doucement notre coexistence. Je ne suis qu'un enfant sur le rivage, déjà fatiguée de ces documents qui s'emmêlent, des rendez-vous manqués, des on s'appelle oui appelle moi, je vais bien ne t'en fait pas. Je cherche mes mots, je balbutie, je remets ma mèche de cheveux devant l'écran, mes yeux, la caméra, mes yeux qui n'arrivent pas à te fixer, est-ce qu'il faut regarder l'écran ou l'objectif ? J'ai soif de réalité, mais nos jours passent si vite. Peut-être que dans le lointain cosmos nous ne sommes pour d'autres que d'insignifiants papillons de nuit.

Nous nous affairons, il neige sur Bruxelles, la voiture patine, les arbres sont galamment gansés de blanc, tu as froid ici. Je me sens mal à l'aise de redécouvrir ton corps, retrouver vos faiblesses, je voudrais ne plus sentir votre vieillesse, votre enveloppe charnelle changeante et angoissante, peut-être que c'était mieux au téléphone. Je garde nos selfies dans la mémoire de mon joli smartphone. Tu sais je t'aime, et je t'aimerai toujours, je te l'écris dans mon texte-message est-ce que tu l'as compris? Tu t'en vas pour l'aéroport et moi je garde toute mes larmes à l'intérieur de moi, je les garde pour la nuit où aucun pixel ne les verra. De quoi a-t-on parlé, déjà ? Si vite était ta venue, si brutal ce décalage entre ton absence continuelle et ta présence perpétuelle. Et je ne suis qu'un enfant sur le rivage, je fixe les assemblées mondaines, nos fiançailles légères, notre walking dinner. Sommes-nous vraiment là dans le salon, tous ensemble tout sourire toutes dents dehors. Les retrouvailles ont un goût doux amer.

Un gigantesque écueil spatiotemporel m'englobe et m’assombrit, je gémis je pleure, je nais _ ou peut-être que je meurs_ je te prends dans mes bras, ou peut être que ce ne sont que les miens qui me serrent. J'entends comme du bout du monde dans le combiné que tu as plaqué à mon oreille, la voix d'Adel qui pleure depuis la Tunisie, cette voix qui me répète "tu ne peux pas vivre seule, tu sais tu dois venir". On ne peut pas vivre sans famille. Il neige avenue Marie-José, ils sont tous rassemblés pour la crèche vivante dans le joli salon. C'est le soixante-quatrième Noël familial au numéro 119, ils chantent, nous chantons. Il neige et je pense à vos deux petits corps recroquevillés chez nous, nous attendant pour reprendre l'avion. Parfois je ne sais plus de quoi je fais partie.

Je te rends l'appareil, la voix d'Adel s'est éteinte mais ses sanglots me suivent pour la semaine entière. Tu ne comprends pas, je ne suis qu'un enfant sur le rivage, je tâte mes jambes et touche mon visage en me demandant à quoi ressemblaient mes ancêtres, à quoi ressembleront mes descendants. Je regarde ce que je suis sans savoir rien reconnaitre _ peut-on s'inventer ? _ Et toi tu décolles de Zaventem direction Saint-Exupéry, et avant de partir je te disais fièrement que ce monde est impitoyable, qu'il faut toujours se battre. En vérité je reste cet enfant incroyablement seule sur le rivage, et on se dit adieu, à bientôt, si Dieu le veut; l’année qui arrive est pleine d'espoir, et je prie que nous puissions la vivre enfin comme nous la rêvons ce soir, dans l'espérance de te sentir, de vous toucher, d'écrire.