Archive for janvier 2015

Quoi que ce soit

28 janvier 2015 Comments Off

La nuit je me réveille beaucoup, les mains tremblante, pleine de cette excitation de vie là qui me prends à la gorge comme lorsque j'avais dix-sept ans. Cette pulsion de vie là. J'ai réalisé à quatre heures du matin, en pleine nuit dans ce clic clac brun orienté sud-ouest, dans cette campagne accrochée à la ville qui revit dans le noir, dans le bruit des petits rongeurs, des oiseaux gris, du matin qui arrive, j'ai réalisé à quatre heures du matin d'où venait cette excitation d'angoisse, de fin, de non avenir imminent, de déclin. C'est qu'il y a quinze jour je marchais le long du chemin de fer derrière le boulevard du Triomphe, je faisais mon travail, je grimpais dans l'air froid, je détaillais ce bâtiment nouveau en portefeuille, intriguant. Mon regard s'est arrêté dans un bosquet, ce que j'ai pris pour une poubelle, un conglomérat de déchets, était un grand cadavre. Son crâne était tout nu, les os des jointures de ses mains polis depuis plusieurs semaines, sa mâchoire grande ouverte comme un grand cri silencieux dans le jardin arrière. Ses jambes étaient coupées, rouges, vertes et brunes, camaïeu intriguant. Il était habillé comme n'importe qui avec un polo noir et une petite chemise. Mais ses jambes étaient coupées et sa peau partait en lambeaux, 
et il criait dans le silence.

Mon esprit ne percutait pas, j'ai dit à M. mais non ce n'est qu'une poubelle tu vois. Ce n'est qu'une poubelle, nos yeux sont mystifiés par notre quotidien absent d'horreurs, nos bras pleins de chairs bien à leur place, les veines battantes, les bouches chaudes, quand je t'embrasse, quand je te dis à ce soir, passe une bonne journée, ne reviens pas tard. Nos yeux sont mystifiés par le bonheur. Et lui il gisait là sans sépulture, les mains repliés, la face sans visage et pourtant pleine de douleur. La police est venue, puis le parquet, tout à été bouclé, on a été entendu, analysés, auditionnés. La journée prenait un autre tournant qui ma foi sortait de l'ordinaire grâce à cet inconnu mutilé caché à l'arrière.

Puis j'ai continué depuis quinze jours ma petite existence; comme si de rien n'était. Mais depuis il y a cette sorte d'excitation de vie, d'angoisse, j'ai peur et je jubile. C'est comme un premier amour. J'aimerai courir pour me rattraper. Me secouer des deux mains pour ne pas tout foutre en l'air. Je m'agite à l'intérieur de moi comme un derviche tourneur, je me retourne _ai-je fais des mauvais choix ?- je souris et je pleure en même temps. Il n'y a personne a qui parler ici. Ici c'est le boulevard du Souverain, puis Wezembeek-oppem, puis rien. Les lieux sont limités, les gens aussi, le quotidien est toujours le même, ça doit me convenir.

Nous sortons boire des ramées blondes avec ma nouvelle équipe. X. me dit que je dois apprendre à canaliser ma séduction. Qu'il na jamais rien vu de pareil. Tes paroles me rassurent et me rendent amère, toi qui est comme un père ma foi un peu incestueux, adultère.
Je dis que séduire est un jeu, tu souris, tu parles de la jeunesse, des chiens fous, des moments d'égarement _quand s'égare-on, peut-on se perdre définitivement, dis moi. Après-tout, la vie n'est un jeu intéressant. Je n'oublie pas tes paroles je les enterre en moi. Je reprends ma voiture, un peu grisée, un peu triste, encore cette excitante anxiété de la vie qui pousse, de la vue du cadavre, de la vie qui passe vite, de la faiblesse humaine. De ce que je crois connaître, de ce que je crois que je suis, de cette femme que je crois être. De tout ce que l'on tente de se convaincre sans entendre cette fois au fond de nous qui dit : Crée, renaîs-toi toi même. 




Mourir debout

8 janvier 2015 Comments Off


Il est six heures du soir dans mon bureau doré.
Il ne neige plus, il y a comme une odeur de félicité de partout, de retour de congés, on se bidonne lourdement à la machine à café le ventre plein de saumon fumé. C'était le début d'une année où nous nous pensions invincibles, simplement spectateurs de la désolation, la peur juste sur l'écran de la télévision, à des kilomètres de notre chariot plein de courses, de nos afterwork, de nos happy hours. Aujourd'hui l'heure est sombre. Tout d'un coup la nuit est tombée, le danger s'est ramassé à nos portes, tapi dans l'ombre, mouvant, insaisissable, voire incompréhensible.

Ma tasse de café a tapé sur le coin du clavier, puis quelque chose à l'intérieur de moi est mort, sans crier. A Bruxelles, il ne s'est rien passé, les voitures ont continué leur ballet sans souveraineté, je suis restée longtemps dans un embouteillage à simplement pleurer. Je n'ai pas peur, tu sais. Tu sais j'ai regardé ces foules se rassembler comme un seul pays de part le monde entier. Cette foule qui dit comme un seul homme: je suis l'Humanité. Nous nous pensons toujours invincibles, jusqu'à ce que cette lance se plante au cœur de toute notre grande philosophie. 

Alors je marche. De la gare du Midi jusque Gare du Nord, et dans le monde entier, nous marchons tout fronts dehors pour nous lever contre l'obscurantisme. Nous marchons dans le froid les doigts gelés pour rendre hommage dans la plus simple humilité à ceux qui le combattent, hier, aujourd'hui et demain. Nous marchons pour rester debout, et pour rester en vie. Je hurle à l'intérieur de moi que je préfère mourir que de ne pas pouvoir m'exprimer, exister.
Ce soir, je suis tout le monde.
Je suis toutes les langues, tous les alphabets.
Toutes les bouches, tous les bras levés
Toutes les mains calleuses, les pieds fatigués.

Plutôt écrire toute la nuit que me taire à jamais.