Les collines sont nappées d'une brume blanche à l'aube, parfois ça ne part plus, elles sont baignées comme ça, auréolées de fumées, de lumière, couronnées de petits oiseaux noirs. Ces collines ont l'odeur des montagnes mais leur terre est dorée, car c'est là que le soleil s'est endormi, ici, entre les ruines romaines et quelques oliviers. C'est l'hiver sur la Méditerranée.
Ici les vergers sont vivants même en janvier, il y a de gros arbres aux feuilles patinées comme du cuir qui donnent des fleurs blanches si parfumées qu'elles deviennent impossible à oublier. Puis arrivent des baies rondes, jaunes et juteuses comme des soleils, ce sont les néfliers.
C'est une saveur que l'on ne sait pas oublier. C'est celle du verger d'hiver, celui des arbousiers qui fleurissent toute l'année, c'est le jardin qui ne s'endort jamais. Quand le reste du monde attend sous la bourrasque, ici la pluie nourri
les lits des rivières enfouies, les steppes se couvrent de mousse, de
jasmin rosé, de chèvrefeuille et de laurier. Il y a des millénaires, les
Oueds étaient des océans, il n'y avait pas d'hiver. Il n'y avait que
les vagues, le roulis de la mer et la botanique mystère des fonds
marins, sans aucune saison ni rien. Alors on cueille des coquillages fossilisés, et des coléoptères ambrés.
Sur les toits plats on empile des tapis tissés comme autant de couvertures bigarrées. Il fait froid mais l'on dort dehors, peut importe le gel, mes pieds sont peut-être glacés mais mon cœur est si chaud de me sentir vivante. Entendre cette nature, m'en éprendre. Les chiens se blottissent contre moi, les enfants ont les petits cheveux collés au front, il n'y a que l'odeur rassurante du thé fort et sucré, du pain dans le four à pierre, des amandes grillées. Se nourrir, respirer, saisir.
Saisir dans le froid cet hiver sans lumignons, sans festins, seulement le silence des beaux matins, le rythme constant des troupeaux qui vont et viennent sur les chemins. Parfois un autobus se perd entre deux villages, alors les fruits des cactus sont comme des lanternes qui rougeoient dans le soir.