0/ A midi, mon père pleurait soudainement dans la cuisine. En arabe il lui dit tu me manques et je désespère Mima. Ta mort fut cette délivrance soudaine, malheur inattendu. Mes yeux se sont ouverts dans les larmes, pressés dans les cheveux consanguins et amis. Le seul cadeau que tu m'as fait c'est ce brutal départ, leçon de vie ultime si tristement réaliste. J'ai peine à croire que ton visage si doux et blanc pourri ce soir sous terre. Peut-être que je pleure pour ce passé non partagé, mais il y a ce présent sans toi que tu as laissé, qui m'a poussé vers la vie nouvelle.
1/ Dans sa voiture, ses yeux pâles brillent d'eau froide, m'attirent par leur sensibilité nue, me glacent par leur beauté. Sa bouche est un léger corail d'une délicatesse ciselée, comme tout ce visage inconnu m'est maladroitement subtil et émouvant. Nous rions de si bon cœur que je ne sais pas mentir avec mes yeux. Ce qui est absolument beau fait absolument peur.
2/ Sur canapé. Une ébauche de confessions, Get 27 et demi-lunes aux poignets. L'œil froid et jaune injecté de sang, la parole sadique, le rasoir, le corps aux angles durs, l'appartement, sa tête se tapant contre le mur, mon corps oublié dans un coin, l'angoisse du soir qui passe, la mauvaise nouvelle, le mensonge, le sentiment d'impuissance, le regard sadique dans la glace, l'os, les nuits où j'étais malade, et où elle n'est jamais revenue, la mort, le silence assourdissant, l'œil aveugle aux beautés du monde, le vers cynique en réponse à l'espoir, l'alcool, les membres qui s'affaissent, l'ivresse qui se couche sur le parquet, le dédain, l'envie d'en finir à deux heures du matin, le chandelier en verre près de ma tête, les petits pansements après avoir appelé la police, la fuite de gaz, le cœur dans la salle d'attente, le lit que j'ai changé de place, les nuits vides, les murs que j'ai redécoré, les mains vides, les recettes de cuisine que j'ai noté, la nourriture froide dans la poubelle, le feu intérieur éteint, les factures et les chèques de l'illusion, le sang de partout, la poche en plastique accrochée au porte manteau d'un mourant, le salon vide sans Mima, la lame sous le coussin, le corps pesé, les pieds nus dans les escaliers, l'attente devant la porte, le poids du sac à dos, l'odeur de la pizza.
Elle a une incompréhension quand je ris en pensant aux pires souvenirs. Mais il n'y a qu'à rire parce que je suis encore entière,
Et que c'était pas gagné
3/ Que je sois encore ce moi substantiel et total.
4/ Elle se préserve comme elle le peut, elle l'avoue un peu, aussi et puis sans l'avouer on le devine. et je n'ai pas envie de savoir ce qu'elle cache, il faut ressentir et aimer sans connaître car cette vie est trop courte pour se protéger des autres. Et je sens la vie trop forte en moi pour ne pas tout risquer. Elle me dit que l'existence un jeu. Et qu'il est agréable et effrayant de se jouer comme ça au fond de tes yeux sur chaque commissure de ta bouche,dans cette élaboration si naturelle d'un nouvel attachement.
5/ Minuit à Villeurbanne, ou ailleurs, ça pourrait être n'importe où. Quelqu'un à peur que je me fasse attaquer par un déséquilibré. J'enlève mon manteau en tremblant. La pièce de théâtre était légère et vivifiante mais le froid me fait mal: cette personne que tu crains était dans mon lit et pas dans la rue. Alors pourquoi l'angoisse.
6/ Dans la voiture. Je chante intérieurement. Je t'embrasse en me disant que je t'aime, que je suis amoureuse. C'est venu sans prévenir, ça m'enchante et me terrifie.
7/ Aimer sans connaître, c'est se jeter sans voir. Je saute demain Pont Morand c'est décidé, je t'ai bien parcouru, dedans, dessous, dessus, et puis le noir est tel dans cette vie sans les rives des autres humanités. Sans les lumières de la ville, comment serait le Rhône? Il serait comme moi dans la cage d'escalier rue des Tables Claudiennes à une heure du matin. Il aurait mon sac au dos rempli d'olives et de pain. Mangés par la moisissure et grouillant de vers blanc. Aurais-je ramené ton corps, Mima?
8/ Seule dans la nuit. Dans mon dos quel est ce putréfié qui coule?
9/ Jamais je ne t'aurais donné le lieu où tu m'as laissée puer dehors
10/ Le téléphone sonne de l'autre coté de la porte, le chat miaule un peu, mon poing contre le bois. J'ai tenté de bâtir quelque chose en prenant cet appartement, en me fichant de l'absurdité du monde. On ne peut jamais regretter d'avoir eu de l'espoir. Quand ensuite j'ai trouvé mieux en moi que tout ce que j'avais pu trouver en toi, avant d'avoir rendu les clefs.
11/ Le matin est un tout-est-possible universel.
Et quand je t'enlace à n'importe quelle heure il n'y a que le matin