Lettre aux amis

29 juillet 2012 Comments Off

Il n'y a qu'un seul moyen de savoir si on se sent enfin chez soi. C'est d'en partir, et de chercher ce sentiment subtil de vouloir rentrer et non pas revenir, s'insérer comme un élément naturel dans ce paysage, ces rues, ces allées. Les romantiques allemands ont très bien défini le mal du pays, peut être parce que l'empire germanique est avant tout un agrégat de routes commerciales, de ports autonomes, de places fortes familiales. Le mal du pays c'était la mélancolie sourde au souvenir de l'odeur d'un petit pain, d'un borchtch à la cerise, d'un cheval, de la tresse lourde battant les cuisses laiteuses d'une blonde inconnue. C'était le vent contre la plage à Kiel. C'était le mal d'une ville. Le mal du pays avant que le leur ne devienne cette ruine immense, et que dans cette immensité ne se trouve qu'un vide abyssal de douleur.

J'ai le mal de plusieurs pays. Et avant tout étrangement il y a Sylt. Cette petite île au large du Danemark. Pourtant ce n'était pas un jour spécialement heureux, mais je me souviens de cette ligne de train tout au milieu de l'eau. Nous traversions la mer, deux cent kilomètres heure de bonheur et de liberté. L'été était lourd et chaud comme à Berlin où les tramways valsaient au dessus de Kreutzberg et qu'on buvait des bières entre les parcs à vélos. Le nord de l'Europe s'épanouit curieusement au soleil, peut être parce qu'il en a trop peu. Les briques rouges vermillonnent, les parcs se parent d'une lumière perçant le feuillage vert brut des tilleuls, les belges s'oublient en terrasse près du camion jaune du marchand de glaces. Quand on vit dans le sud, c'est l'astre brûlant dont on se protège. On s'enferme sous les persiennes et les stores pour ne redécouvrir la beauté de l'été alors qu'au crépuscule. C'est avant tout dans le couchant sur les nuits claires, chaudes et bruyantes pendant longtemps, c'est avant tout pour le fait qu'il soit parti qu'on aime le soleil.

Ce ne fut pas toujours des années lumineuses. L'obscurité et l'hiver ont duré longtemps. Longtemps je marchais sans voir mon chemin _ est-ce qu'aujourd'hui je le vois mieux, je ne suis pas certaine_ mais bien des choses sont moins sinueuses. Peut-être parce que je ne fais pas ce chemin de vie seule, ou bien que je partage ma solitude avec plusieurs d'entre vous. Parce qu'à mes cotés je sais que tu me suis de près, que cette ligne de vie là nous la menons ensemble dans la même intercompréhension de sa beauté, de sa difficulté. Parce qu'au loin ceux que j'aime vieillissent, mais qu'ils sont toujours là. Parce que tout près je sens ton souffle dans le soir, que je ne veux rien savoir de ce qui nous attends. Parce que cette fois j'ai assez vécu pour me connaître, et parce que j'ai toujours su que j'étais capable d'aimer longtemps.

Alors de Tervueren à Lyon, je vogue, j'ai le mal de plusieurs pays mais vous êtes avec moi. Je garde des stigmates, uniquement celles que je me suis données moi-même, car au final c'est bien par cette douleur de se chercher qu'on fini par se comprendre. Homère disait les chemins du jour côtoient ceux de la nuit, et je reste persuadée que c'est dans l'obscurité qu'au fond l'on se construit. Lorsque le ciel est ce tapis épais et sans étoiles, lorsque aucun plaisir particulier ne nous aveugle, alors ne reste que la reconnaissance sincère d'être toujours en vie. Et toujours ce bonheur de se découvrir, d'aimer, d'aimer les autres autant qu'on m'a aimé. Aucun homme n'est une île, ou bien la mer tout autour n'est que la continuité des bras qui nous entourent et des mains qui nous lient, des lèvres qui nous retiennent et d'un corps qui nous unis.



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