Place du Grand-Sablon, peut-être 10 degrés.
Il y a quelques années tu te souviens nous déclamions en riant,
Nous deux filles d'immigrés, Hugo, Chateaubriand,
Deux petits rejetons de la République, deux sœurs
Chantaient la Marseillaise dans la ligne nonante-quatre,
La main sur le cœur et le cœur quelque part entre Leuven et Ath,
Je te disais que je deviendrai bien belge, pour devenir un peu consensuelle,
Pour une fois ne plus nous déchirer sur nos ternes présidentielles,
Pour une fois ne plus désirer convaincre mon voisin, mon frère, mon ennemi,
Pour une fois ne plus regretter ce que mes parents ont aimé,
Charles-de-Gaulle, mille-neuf cent soixante huit, Mike Brandt et les yéyés
Moi je suis plutôt René Char, Jean Moulin et Cabu,
Tu vois je pensais que la France était révolue, dévolue au crépuscule,
Langue morte, astre éteint de toutes les idées,
Les Lumières, les arts et littérature, du passé,
Le Panthéon, un vieux temple du délire républicain,
Je pensais que le monde tournait maintenant sans nous et notre Marianne ramassée dans un coin,
Je te disais que je deviendrai bien Belge une fois pour me refaire une santé,
Parler néerlandais, aimer ses paysages de couleurs froides, ces brumes interminables,
Ses fermes carrés, cathédrales de brique mousseuse, terrils de charbon et de sable,
Je voulais me fondre dans leurs champs de blé, leurs cheveux jaunes,
Leur yeux de ciel endormi,
Mais ce soir j'ai oublié que je n'ai jamais aimé Paris,
Le verre à la main et la main sur le cœur,
Ce soir où s'éteignent cent vingt-neufs flammes de vie,
Ce soir où rien ne triomphe que l'horreur,
Je t'aime autant que moi, ma Patrie,
Et dans cette nuit immense qui nous attend,
Serons-nous à la hauteur de la fureur
Car le soleil se détourne désormais lentement de la Terre
Nos visages sont à moitié dans la nuit
Mains serrées, yeux clos, ne restent que nos prières dans le noir
Serons-nous à la hauteur de ta grandeur
Il est déjà si tard
Archive for 2015
Nous redeviendrons poussière
28 octobre 2015 Comments Off
Nous avons navigué à vue. Le soleil se levait doucement sur la Belgique, timide et impuissant. J'étais à l'arrière de la voiture, déjà pensive dans le matin. Aujourd'hui est un jour nouveau, je l'attendais tellement que mon seul objectif est d'être enfin dans cet avion. Oui, c'est parti. L'engin s'emballe mon cœur se comprime, tous mes vaisseaux sont en une fois serrés sous cellophane, je retiens ma respiration quand les roues se détachent du sol, les réacteurs vrombissent et nous voilà propulsés dans les nuages épais et gris. Beslema Bruxelles, direction Tunis.
J'ai pris mon billet hier. En quelques semaines tout a changé tu vois je me languissais de l'action et me voilà virée en quelques secondes le dernier jour du mois d'août avec toute mon équipe sur le carreaux, nous voilà dans mon fond de jardins assises à pleurer et boire du vin; nous nous serrons les coudes, et comme dit Valérie, j'ai perdu des collègues mais j'ai gagné des amis. On se retrouve entre réalité, CV, indemnités, l'égo charcuté dans le bureau ressources inhumaines, les bras ballants. Et qu'est-ce qu'on fait maintenant. Le mois de septembre et sa dérentrée, je me sens décentrée mais heureuse.
Heureuse parce que finalement c'est quand même toujours aussi bon, la liberté.
Elle n'aura pas duré longtemps. En deux trois mouvement nous voilà chacun recasés quelque part à dire bonjour à nos nouveaux collègues, à relever de nouveau ces fameux challenges. Pas même passés par la case chômage, ici la crise finalement, on ne la connait pas vraiment. Mais j'ai perdu ceux qui me faisaient rire tous les matins, j'ai perdu celui qui m'a connu débarquant de Lyon, flemmarde inexpérimentée, petite chose inadaptée sortie des bancs de l'université. Cette adolescence professionnelle, entre curiosité et manque de volonté, c'est fini, il va falloir faire sans. Je débarque dans l'open space aux deux cent vingts employés, après la holding familiale multi millionnaire bienvenue dans la multinationale immobilière. Ma moitié matérialiste est comblée. Quant à l'autre moitié, hésitante, sensible.. il faudra faire avec. Alors, avant de me jeter dans la gueule du loup, à la fois enthousiaste et terrorisée, j'ai décidé de partir. Partir loin de l'avenue Lloyd George et ses maisons de maitre soigneusement alignées.
Partir dans le chaos poussiéreux. Dans les cris, dans la vie. Ma part ancestrale est propulsé soudainement en pleine lumière dans l'avion Tunis Air. Les autres voyageurs me sourient, il y a cette douce connivence que chacun d'entre nous ressent, on revient au pays. L'avion atterri dans cet immense désert de toits terrasses et de maisons jamais finies, ville déconstruite, Tunis. L'aéroport de Carthage n'a pas changé, la première image qu'on voit de la Tunisie, les palmier dans le ciel bleu et aveuglant, ce soleil en pleine face et ce parking vers lequel on se dirige, ces voitures de seconde main, ces voyageurs aux paquets en plastique, aux grands cabas Tati, ces familles, ces Tunisoises en jean bottes de cuir au rictus blasé, sac de marque contrefaçon au creux du bras. Je retrouve Papa à la sortie des voyageurs, Maman est avec Sabrine. Sabrine, ma cousine-soeur, née quelques semaines après moi, mon double dans toute mon enfance, l'acolyte de tous mes étés. Sabrine, assise, enceinte, la bague au doigts, les yeux mouillés. Elle me serre dans ses bras, on se touche, laisse moi te toucher, te réaliser, te sentir. Toi non plus tu n'as pas changé. Tu es toujours cette demi portion et quand je te regarde, je nous revois il y a des années.
Peut-être une décennie.
Viens, nous allons passer la nuit à nous parler, cette nuit affreuse et étouffante dans laquelle je ne peux pas respirer, j'ai trop chaud, mon autre moi veut rentrer à la maison, en Belgique, là où il fait moins de vingts degrés là où les gens ont l'air civilisés. Mais non, on passera le soir dans l'ancien petit lit deux places de mes parents, avec des souvenirs que nous sommes bien les seules à connaitre : la blague de M'barka qui nous a fait si peur dans les toilettes, les jours où l'on disparaissait toute la journée entres les oliviers, les après-midi sans sieste dans le salon de Papi, les canapés à fleur sous lesquels on collait nos chewing gum, notre enfance entière à nous retrouver chaque année, un peu différentes mais pas vraiment changées. On se regarde ce soir dans la nuit noire, au loin l'appel à la prière retenti, je vois tes grands yeux noirs qui brillent fixés sur moi, et oui le temps de l'insouciance est fini même si on a pas encore vieilli. Je regarde ton ventre arrondi, ce cœur nouveau que je sens contre ta peau, cette vie qui palpite, je le regarde toute la nuit mon autre, cette pièce immémoriale qui se joue, cette nuit, la nouvelle vie. Elle me dit toi aussi bientôt, et je ferme les yeux. Moi aussi, oui, bientôt, le désir est primitif, j'enserre ma matrice vide de mes deux mains. Moi aussi, bientôt, oui, inch'allah, ils auront presque le même age. Se connaitront-ils comme je te connais. Je sue dans le soir, tu me manques. Je ressens ce vide, puissant et silencieux. Les autres nuits sans toi seront pareilles, abandonnées.
Ce voyage est un retour en avant,
avant que le monde ne s'écroule.
Je m'émerveille devant cette maison que je ne connais pas, ce jardin luxuriant, ces rosiers qui continuent de fleurir en hiver. Ce jasmin qui pleut sur la terrasse. Ces escaliers en marbre. Je m'émerveille encore et mon cœur lui se serre. Reviendrons-nous. Je regarde ce village, mes genoux contre la tombe de Mima, ce petit trou dans la pierre pour abreuver les oiseaux, ce silence à la fois paisible et inquiétant. Les yeux bruns sombre de cet enfant. Reviendrons-nous? Je n'ose pas vous poser la question, vous qui êtes si contents de me voir, vous qui me dites: ici aussi, c'est ta maison. Je souris et mon cœur lui se serre. Résisterons-nous à ce monde qui s'écroule. Tu débarques à l’aéroport une semaine plus tard, il fait une chaleur accablante entre les palmiers, je suis comme une enfant, joyeuse et excitée, fixant chaque voyageur, discutant allégrement avec des inconnus car "le vol d'Ankara est en retard mais celui de Hambourg est bien arrivé". Ton visage dans cet univers inconnu, je souris, voici mon ancre. Qu'avais-je hâte de marcher avec toi dans cette ville inconnue et tellement connue en même temps, hâte de nous perdre dans la Goulette, de manger les beignets sucrés de la Marsa, de regarder les petits bateaux de pêche dans l'eau sale, de prendre la ligne TGM en deuxième classe. Les gens sont beaux et tristes. Six ans après je ne retrouve que leur souffrance, leur résistance après une révolution de guerre lasse, leur fatigue. Il n'y a plus d'espoir ici, seulement la peur des jours qui arrivent.
Tu ne prends aucune photo? Non, je n'ai pas envie de me souvenir. La mer est belle et déchainée mais il y a encore l'odeur du sang. Peut importe les morts, nous louons des transats sur la plage vide. Je me souviens du port gouillant la nuit de touristes, de faux charmeurs de serpent, de chameaux domestiqués, de vendeurs de jasmin. De la musique qui retentissait à tous les cafés, tous les restaurants. Des familles qui déambulaient le soir après le sable, la sueur, la douche fraiche, le diner à l’hôtel. Ils ont gagné, ici, tu vois. Ils ont gagnés ces terroristes. La Tunisie s'est vidée de sa substance, il ne reste que ces jeunes hommes bruns qui nous haranguent pour faire un tour en calèche. Que ce monsieur qui pleure en louant ses transats. Que le silence assourdissant dans les rues désertes de la station balnéaire.
Adel pleure comme un enfant la veille de notre départ. Je reste dans le silence cette fois si paisible sur le marbre froid de la terrasse, les yeux plongés dans les rosiers blancs, les bougainvilliers de toutes les couleurs, les lauriers. Ce jardin clos et rassurant, comme à l'abri du monde. J'aimerai rester ici loin de l'Europe, loin de l'avenue des Arts, loin de la machine économique, loin de Bruxelles la pas si belle. Je pleure dans la nuit parce que voilà, je m'étais habituée finalement à l'appel à la prière, même si au début je faisais de mauvais rêves où l'on se réveillait au milieu des islamistes. Je m'étais habituée à découvrir votre jolie demeure, toutes vos économie dans ce petit paradis. Je n'ai pas compris à quel point c'était beau de nous voir réunis tous les quatre sur la terrasse aux jasmins, tous les quatre cahotant dans la Peugeot entre les hauts plateaux. Je n'ai pas compris à quel point je vais m'en souvenir encore longtemps.
Comme ce matin où papa et moi nous étions tous les deux dans le cimetière de Khalsa, deux âmes réunis, un seul sang sur les pierres. Je regarde le carré de pierre blanche qui abrite Mima, sur la colline des petits chardons, de l'herbe sèche, des petits scarabées. Il me montre les tombes de tous mes ancêtres et là tu vois je sais enfin d'où je viens. Je ne lui dit pas mais je sais qu'un jour aussi il sera là. Je serai peut être là aussi un jour. C'est une belle terre pour mourir tu vois. Presque aussi beau que d'être rendu à la mer, presque aussi beau que de m'emmêler avec toi, atomes contre atomes. Je plonge mes deux mains dans le sable. Il sent l'océan d'autrefois.
Et comme dans mes rêves, nous récoltons les fossiles. Tu as l'air dans ton élément si loin de ton pays. Tout le monde est joyeux de mettre la table, de faire cuire le méchoui dans le grand four à pain, d'allumer le kanoun. Papi est toujours assis sur son banc entre l'épicerie et la poste, le reverrais-je ? Je l'embrasse encore et encore, il sent l'air frais et son burnous est toujours le même en grosse toile brune. Te reverrais-je ? Mon cœur se serre à cette dernière nuit.
Quand reviendrais-je?
Vous reverrais-je. Serons-nous encore vivants.
Heureuse parce que finalement c'est quand même toujours aussi bon, la liberté.
Elle n'aura pas duré longtemps. En deux trois mouvement nous voilà chacun recasés quelque part à dire bonjour à nos nouveaux collègues, à relever de nouveau ces fameux challenges. Pas même passés par la case chômage, ici la crise finalement, on ne la connait pas vraiment. Mais j'ai perdu ceux qui me faisaient rire tous les matins, j'ai perdu celui qui m'a connu débarquant de Lyon, flemmarde inexpérimentée, petite chose inadaptée sortie des bancs de l'université. Cette adolescence professionnelle, entre curiosité et manque de volonté, c'est fini, il va falloir faire sans. Je débarque dans l'open space aux deux cent vingts employés, après la holding familiale multi millionnaire bienvenue dans la multinationale immobilière. Ma moitié matérialiste est comblée. Quant à l'autre moitié, hésitante, sensible.. il faudra faire avec. Alors, avant de me jeter dans la gueule du loup, à la fois enthousiaste et terrorisée, j'ai décidé de partir. Partir loin de l'avenue Lloyd George et ses maisons de maitre soigneusement alignées.
Partir dans le chaos poussiéreux. Dans les cris, dans la vie. Ma part ancestrale est propulsé soudainement en pleine lumière dans l'avion Tunis Air. Les autres voyageurs me sourient, il y a cette douce connivence que chacun d'entre nous ressent, on revient au pays. L'avion atterri dans cet immense désert de toits terrasses et de maisons jamais finies, ville déconstruite, Tunis. L'aéroport de Carthage n'a pas changé, la première image qu'on voit de la Tunisie, les palmier dans le ciel bleu et aveuglant, ce soleil en pleine face et ce parking vers lequel on se dirige, ces voitures de seconde main, ces voyageurs aux paquets en plastique, aux grands cabas Tati, ces familles, ces Tunisoises en jean bottes de cuir au rictus blasé, sac de marque contrefaçon au creux du bras. Je retrouve Papa à la sortie des voyageurs, Maman est avec Sabrine. Sabrine, ma cousine-soeur, née quelques semaines après moi, mon double dans toute mon enfance, l'acolyte de tous mes étés. Sabrine, assise, enceinte, la bague au doigts, les yeux mouillés. Elle me serre dans ses bras, on se touche, laisse moi te toucher, te réaliser, te sentir. Toi non plus tu n'as pas changé. Tu es toujours cette demi portion et quand je te regarde, je nous revois il y a des années.
Peut-être une décennie.
Viens, nous allons passer la nuit à nous parler, cette nuit affreuse et étouffante dans laquelle je ne peux pas respirer, j'ai trop chaud, mon autre moi veut rentrer à la maison, en Belgique, là où il fait moins de vingts degrés là où les gens ont l'air civilisés. Mais non, on passera le soir dans l'ancien petit lit deux places de mes parents, avec des souvenirs que nous sommes bien les seules à connaitre : la blague de M'barka qui nous a fait si peur dans les toilettes, les jours où l'on disparaissait toute la journée entres les oliviers, les après-midi sans sieste dans le salon de Papi, les canapés à fleur sous lesquels on collait nos chewing gum, notre enfance entière à nous retrouver chaque année, un peu différentes mais pas vraiment changées. On se regarde ce soir dans la nuit noire, au loin l'appel à la prière retenti, je vois tes grands yeux noirs qui brillent fixés sur moi, et oui le temps de l'insouciance est fini même si on a pas encore vieilli. Je regarde ton ventre arrondi, ce cœur nouveau que je sens contre ta peau, cette vie qui palpite, je le regarde toute la nuit mon autre, cette pièce immémoriale qui se joue, cette nuit, la nouvelle vie. Elle me dit toi aussi bientôt, et je ferme les yeux. Moi aussi, oui, bientôt, le désir est primitif, j'enserre ma matrice vide de mes deux mains. Moi aussi, bientôt, oui, inch'allah, ils auront presque le même age. Se connaitront-ils comme je te connais. Je sue dans le soir, tu me manques. Je ressens ce vide, puissant et silencieux. Les autres nuits sans toi seront pareilles, abandonnées.
Ce voyage est un retour en avant,
avant que le monde ne s'écroule.
Je m'émerveille devant cette maison que je ne connais pas, ce jardin luxuriant, ces rosiers qui continuent de fleurir en hiver. Ce jasmin qui pleut sur la terrasse. Ces escaliers en marbre. Je m'émerveille encore et mon cœur lui se serre. Reviendrons-nous. Je regarde ce village, mes genoux contre la tombe de Mima, ce petit trou dans la pierre pour abreuver les oiseaux, ce silence à la fois paisible et inquiétant. Les yeux bruns sombre de cet enfant. Reviendrons-nous? Je n'ose pas vous poser la question, vous qui êtes si contents de me voir, vous qui me dites: ici aussi, c'est ta maison. Je souris et mon cœur lui se serre. Résisterons-nous à ce monde qui s'écroule. Tu débarques à l’aéroport une semaine plus tard, il fait une chaleur accablante entre les palmiers, je suis comme une enfant, joyeuse et excitée, fixant chaque voyageur, discutant allégrement avec des inconnus car "le vol d'Ankara est en retard mais celui de Hambourg est bien arrivé". Ton visage dans cet univers inconnu, je souris, voici mon ancre. Qu'avais-je hâte de marcher avec toi dans cette ville inconnue et tellement connue en même temps, hâte de nous perdre dans la Goulette, de manger les beignets sucrés de la Marsa, de regarder les petits bateaux de pêche dans l'eau sale, de prendre la ligne TGM en deuxième classe. Les gens sont beaux et tristes. Six ans après je ne retrouve que leur souffrance, leur résistance après une révolution de guerre lasse, leur fatigue. Il n'y a plus d'espoir ici, seulement la peur des jours qui arrivent.
Tu ne prends aucune photo? Non, je n'ai pas envie de me souvenir. La mer est belle et déchainée mais il y a encore l'odeur du sang. Peut importe les morts, nous louons des transats sur la plage vide. Je me souviens du port gouillant la nuit de touristes, de faux charmeurs de serpent, de chameaux domestiqués, de vendeurs de jasmin. De la musique qui retentissait à tous les cafés, tous les restaurants. Des familles qui déambulaient le soir après le sable, la sueur, la douche fraiche, le diner à l’hôtel. Ils ont gagné, ici, tu vois. Ils ont gagnés ces terroristes. La Tunisie s'est vidée de sa substance, il ne reste que ces jeunes hommes bruns qui nous haranguent pour faire un tour en calèche. Que ce monsieur qui pleure en louant ses transats. Que le silence assourdissant dans les rues désertes de la station balnéaire.
Adel pleure comme un enfant la veille de notre départ. Je reste dans le silence cette fois si paisible sur le marbre froid de la terrasse, les yeux plongés dans les rosiers blancs, les bougainvilliers de toutes les couleurs, les lauriers. Ce jardin clos et rassurant, comme à l'abri du monde. J'aimerai rester ici loin de l'Europe, loin de l'avenue des Arts, loin de la machine économique, loin de Bruxelles la pas si belle. Je pleure dans la nuit parce que voilà, je m'étais habituée finalement à l'appel à la prière, même si au début je faisais de mauvais rêves où l'on se réveillait au milieu des islamistes. Je m'étais habituée à découvrir votre jolie demeure, toutes vos économie dans ce petit paradis. Je n'ai pas compris à quel point c'était beau de nous voir réunis tous les quatre sur la terrasse aux jasmins, tous les quatre cahotant dans la Peugeot entre les hauts plateaux. Je n'ai pas compris à quel point je vais m'en souvenir encore longtemps.
Comme ce matin où papa et moi nous étions tous les deux dans le cimetière de Khalsa, deux âmes réunis, un seul sang sur les pierres. Je regarde le carré de pierre blanche qui abrite Mima, sur la colline des petits chardons, de l'herbe sèche, des petits scarabées. Il me montre les tombes de tous mes ancêtres et là tu vois je sais enfin d'où je viens. Je ne lui dit pas mais je sais qu'un jour aussi il sera là. Je serai peut être là aussi un jour. C'est une belle terre pour mourir tu vois. Presque aussi beau que d'être rendu à la mer, presque aussi beau que de m'emmêler avec toi, atomes contre atomes. Je plonge mes deux mains dans le sable. Il sent l'océan d'autrefois.
Et comme dans mes rêves, nous récoltons les fossiles. Tu as l'air dans ton élément si loin de ton pays. Tout le monde est joyeux de mettre la table, de faire cuire le méchoui dans le grand four à pain, d'allumer le kanoun. Papi est toujours assis sur son banc entre l'épicerie et la poste, le reverrais-je ? Je l'embrasse encore et encore, il sent l'air frais et son burnous est toujours le même en grosse toile brune. Te reverrais-je ? Mon cœur se serre à cette dernière nuit.
Quand reviendrais-je?
Vous reverrais-je. Serons-nous encore vivants.
Enta Omri
23 septembre 2015 Comments Off
Wezembeek-oppem, pas loin de dix degrés
Voilà l'été est parti, c'était un été comme on en fait pas souvent, inexistant. Est-ce ça vivre dans les pays du nord? Je ne me souviens plus des soirées au dehors à refaire le monde, je ne me souviens plus des tapis qu'on déploie sur le sol pour se coucher sur le brûlant coton, je ne me souviens plus des robes de soie, des lumières qui scintillent. Mais je me souviens encore de l'odeur de la mer, de ta peau salée, du bonheur intense de plonger au large, tête la première dans ce bleu marine sans hésiter non, je n'ai pas peur de ce fond noir et envoutant, je n'ai pas peur de l'inconnu la vie tu vois c'est pas seulement payer ses factures et puis mourir, non. La vie tu vois, c'est foncer sur les routes sur la motocyclette, c'est apprendre à conduire un bateau, c'est marcher le long des rochers, c'est se piquer les pieds, c'est nager jusqu'à en avoir mal aux bras. S'entendre respirer entre les poissons. Entendre ce cœur qui s'emballe dans le noir. La tête dans les étoiles. Le cœur, oui le cœur à flots de déraison.
Je ne me suis jamais souvenue de l'été en Belgique. Je me souviens du printemps, de ces bourgeons dans le jardin, des averses qui font verdir les prés, je me souviens de l'automne tantôt triste tantôt chatoyant de couleurs, des grosses araignées qui envahissent la maison, des cèpes que l'on cueille dans les bois du Brabant. Mais l'été, non, je ne me souviens pas. Il a déjà fait chaud, oui, mais c'est une sorte d'été que je ne connais pas, on reste sur la terrasse la nuit en petite laine, on bat le bitume de nos pieds calleux, on prend le petit déjeuner quelques semaines en terrasse, avant que les matins ne deviennent trop frisquets.
L'été n'existe pas ici. On devrait nous le dire. C'est l'info la plus importante, finalement oui il pleut parfois, peut être plus ou moins qu'ailleurs, mais il n'y a pas d'été tu vois. Quelques nuits où on étouffe sous les poutres de bois, quelques jours où il fait plus de trente degrés et là tout Bruxelles est à la mer du nord. Ils prennent le train pour Ostende, Koksijde, la Panne.
Je ne me suis jamais souvenue de l'été en Belgique. Je me souviens du printemps, de ces bourgeons dans le jardin, des averses qui font verdir les prés, je me souviens de l'automne tantôt triste tantôt chatoyant de couleurs, des grosses araignées qui envahissent la maison, des cèpes que l'on cueille dans les bois du Brabant. Mais l'été, non, je ne me souviens pas. Il a déjà fait chaud, oui, mais c'est une sorte d'été que je ne connais pas, on reste sur la terrasse la nuit en petite laine, on bat le bitume de nos pieds calleux, on prend le petit déjeuner quelques semaines en terrasse, avant que les matins ne deviennent trop frisquets.
L'été n'existe pas ici. On devrait nous le dire. C'est l'info la plus importante, finalement oui il pleut parfois, peut être plus ou moins qu'ailleurs, mais il n'y a pas d'été tu vois. Quelques nuits où on étouffe sous les poutres de bois, quelques jours où il fait plus de trente degrés et là tout Bruxelles est à la mer du nord. Ils prennent le train pour Ostende, Koksijde, la Panne.
Mon cœur est à l'été sauvage et agressif de mon pays.
Il me dit: ce n'est pas ton pays, tu n'en parles pas la langue.
Et si je te disais que cette langue est une autre, que cette terre est une autre terre, que c'est une langue de son et de saveurs, une langue primitive, la toute première des langues. Leur langue c'est leur peau, leurs lèvres qui m'embrassent. Leurs étreintes, mes premiers souvenirs. Leur mains qui me caressent, calleuses, noircies par le four à pain, le soleil, les champs, mon premier souvenir. Leur odeur de cumin et d'ail, de thé fort, puissante, animale, mon premier souvenir. Leur amour inconditionnel, leur musique, leur chants. Leurs cris, mon premier souvenir. Comprendras-tu. C'est mon pays, indéfectible. Aucun été n'est comparable, pas même l'été civilisé de la Toscane, pas même les beaux villages de la Provence, non, c'est mon été indéfectible. Bruyant à cause de toutes les musiques de mariage et les youyou qui empêchent de dormir, l'appel à la prière qui perce dans la nuit, sale à cause des égouts à ciel ouvert, des remontées dans la chaleur, l'été des chiens errants, l'été de la misère.
Il me dit: ce n'est pas ton pays, tu n'en parles pas la langue.
Et si je te disais que cette langue est une autre, que cette terre est une autre terre, que c'est une langue de son et de saveurs, une langue primitive, la toute première des langues. Leur langue c'est leur peau, leurs lèvres qui m'embrassent. Leurs étreintes, mes premiers souvenirs. Leur mains qui me caressent, calleuses, noircies par le four à pain, le soleil, les champs, mon premier souvenir. Leur odeur de cumin et d'ail, de thé fort, puissante, animale, mon premier souvenir. Leur amour inconditionnel, leur musique, leur chants. Leurs cris, mon premier souvenir. Comprendras-tu. C'est mon pays, indéfectible. Aucun été n'est comparable, pas même l'été civilisé de la Toscane, pas même les beaux villages de la Provence, non, c'est mon été indéfectible. Bruyant à cause de toutes les musiques de mariage et les youyou qui empêchent de dormir, l'appel à la prière qui perce dans la nuit, sale à cause des égouts à ciel ouvert, des remontées dans la chaleur, l'été des chiens errants, l'été de la misère.
Où la terre des promesses dont on parlait, dis moi? Plus je vieillis plus le refuge se trouve dans mes souvenirs.
Chouffou Ma Sar
7 juillet 2015 Comments Off
Cet été est littéralement chaotique, certains jours il pleut sans discontinuer, et d'autres jours une chaleur étouffante s'abat sur le bitume et grille les plantes déjà pourries par la mousson de la veille. Est-ce que c'est maintenant le réchauffement ? Ou est-ce que l'hiver prochain durera trente ans, on ne sait pas vraiment. Mais ça sent mauvais sur cette planète, peut être que c'est déjà complètement métastasé.
Je rénove ma maison et refait mes pavés sans penser à demain,
Nous ne sommes que des fourmis tu vois.
Nous avançons dans le néant, nous franchissons sans cesse des obstacles invisibles.
Nous nous aimons tous beaucoup, et si peu à la fois.
Je rénove ma maison et refait mes pavés sans penser à demain,
Nous ne sommes que des fourmis tu vois.
Nous avançons dans le néant, nous franchissons sans cesse des obstacles invisibles.
Nous nous aimons tous beaucoup, et si peu à la fois.
La plus belle et la plus difficile
4 juillet 2015 Comments Off
Porto Azzurro, vingt degrés
L'été est arrivé au mois de mai, quand nous avons rempli consciencieusement la Skoda rutilante de nos cartons pâtes, guirlandes, origamis une vraie papeterie, valises, crèmes, cheveux, corps et âme, livrets de messe, icônes, nous partons en pèlerinage oui, nous partons en pèlerinage pour la vie. Juste au dessus de l'amoncellement de sacs, pochettes, chaussures, délicate, j'ai déposé ma robe de mariée enserrée dans sa housse, précieuse pour si peu de temps.
Je me vois vivre avec empathie. Je regarde cette fille qui évolue sur la plage, ce sourire, cette rose montée sur mélancolie, je caresse mes pétales en leur demandant dans un murmure de ne pas trop vite vieillir. Nous nous retrouvons tous sur l'île d'Elbe, vous, nous, tous ensemble le long de ce soleil aveuglant, de cette nature immense, de ces eaux transparentes, j'ai voulu de la beauté à en couper le souffle, j'ai voulu qu'on s'en aille, car c'est un peu des vacances du moins pour tous ces invités, en apparence.
J'ai voulu revenir, ici. C'est l'Italie que vous avez quittée par le port de Naples, c'est l'Italie l'éternel pays finalement de notre trio familial. Souviens toi: Gènes, le petit port, les trattorias où on mangeait la pizza aux anchois, les vacances de Pâques dans la campagne romaine, le vieux matelas qui s'enfonçait le bouillon de poule de Nanelle, le dos bossus de mamy Pépina qui donnait à manger aux lapins, la morsure du chien. Et puis les chansons. Toute ma vie restera une succession de tes chansons napolitaines.
J'ai voulu revenir, ici. C'est l'Italie que vous avez quittée par le port de Naples, c'est l'Italie l'éternel pays finalement de notre trio familial. Souviens toi: Gènes, le petit port, les trattorias où on mangeait la pizza aux anchois, les vacances de Pâques dans la campagne romaine, le vieux matelas qui s'enfonçait le bouillon de poule de Nanelle, le dos bossus de mamy Pépina qui donnait à manger aux lapins, la morsure du chien. Et puis les chansons. Toute ma vie restera une succession de tes chansons napolitaines.
L'Italie, c'est nous trois, et la mémoire des morts avec.
Leur visage énigmatique des photographies, leurs départs, leurs décisions étranges qui me font exister, les questions que je pose : à qui est-ce que je ressemble, finalement? Qui était-il cet homme si élégant, cet homme qui n'avait pas besoin de quitter Naples, cet homme qui avait déjà une femme et un enfant. Qui était-elle cette femme au visage si doux, pourquoi a-t elle fuit Florence pendant la guerre. Qui êtes-vous? C'est aujourd'hui avec ma robe et mon voile de dentelle, aujourd'hui que je regarde mon visage au seuil de ce passé énigmatique. Je n'ai jamais rêvé de ce moment, mais qu'est-ce qu'il est beau d'être dans un nid fait de bras aimants, de regards, de réconciliation, de résurrection, de pardon.
Quelle fragilité.
Leur visage énigmatique des photographies, leurs départs, leurs décisions étranges qui me font exister, les questions que je pose : à qui est-ce que je ressemble, finalement? Qui était-il cet homme si élégant, cet homme qui n'avait pas besoin de quitter Naples, cet homme qui avait déjà une femme et un enfant. Qui était-elle cette femme au visage si doux, pourquoi a-t elle fuit Florence pendant la guerre. Qui êtes-vous? C'est aujourd'hui avec ma robe et mon voile de dentelle, aujourd'hui que je regarde mon visage au seuil de ce passé énigmatique. Je n'ai jamais rêvé de ce moment, mais qu'est-ce qu'il est beau d'être dans un nid fait de bras aimants, de regards, de réconciliation, de résurrection, de pardon.
Et me voici embarquée dans la plus difficile et la plus belle partie de l'existence. Elle commencera sur l'île d'Elbe dans ce village aux ruelles pittoresques.
Elle commencera dans ce froid et ce soleil fuyant de la mi-mai.
Papa tremble un peu en m'amenant jusqu'à l'autel
Je n'ose pas le regarder.
Je n'oserai pas vous regarder tous les deux de peur de me dévoiler devant cent dix-neufs inconnus.
Sommes-nous donc en route pour le bonheur?Elle commencera dans ce froid et ce soleil fuyant de la mi-mai.
Papa tremble un peu en m'amenant jusqu'à l'autel
Je n'ose pas le regarder.
Je n'oserai pas vous regarder tous les deux de peur de me dévoiler devant cent dix-neufs inconnus.
Quelle fragilité.
Le temps des fiançailles
29 mars 2015 Comments Off
Le vent balayait tout les ponts du bateau et la nuit était déjà tombée sur la mer méditerranée.
La nuit était déjà tombée de partout en moi depuis cette macabre découverte.
C'était arrivé de manière insidieuse, les premiers jours je ne pensais à rien, ce cadavre me faisait presque rire avec son crâne lisse mangé par les insectes, cette main putréfiée avait dans mon souvenir l'air d'une marionnette. Le lendemain, j'ai essayé ma robe de mariée, nous rions, Olivia et moi, nous sommes dans le rose bonbon du boudoir si féminin du magasin, la traine est longue, la dentelle délicate, le temps est au beau fixe, en apparence, le temps est magnifique, c'est le temps des fiançailles, le temps de la jeunesse, le temps de la vie éternelle. Dieu est partout aussi, chaque dimanche est solaire, je suis une future mariée de l'an dix, je suis cette figure intemporelle de la félicité, je suis la fiancée. Pourtant depuis le jour du cadavre, il s'est passé quelque chose d'étrange, une expérience quelque peu inquiétante. Je me suis adossée au mur de l'immeuble boulevard du Triomphe, "putain c'est pas possible c'est un vrai macchabée je te dis. C'est un vrai" on est pas dans Les Experts Miami, on est à Auderghem, il pleut, j'ai pas pris mes papiers, et j'entends de moins en moins lointaine la sirène des policiers.
La nuit était déjà tombée de partout en moi depuis cette macabre découverte.
C'était arrivé de manière insidieuse, les premiers jours je ne pensais à rien, ce cadavre me faisait presque rire avec son crâne lisse mangé par les insectes, cette main putréfiée avait dans mon souvenir l'air d'une marionnette. Le lendemain, j'ai essayé ma robe de mariée, nous rions, Olivia et moi, nous sommes dans le rose bonbon du boudoir si féminin du magasin, la traine est longue, la dentelle délicate, le temps est au beau fixe, en apparence, le temps est magnifique, c'est le temps des fiançailles, le temps de la jeunesse, le temps de la vie éternelle. Dieu est partout aussi, chaque dimanche est solaire, je suis une future mariée de l'an dix, je suis cette figure intemporelle de la félicité, je suis la fiancée. Pourtant depuis le jour du cadavre, il s'est passé quelque chose d'étrange, une expérience quelque peu inquiétante. Je me suis adossée au mur de l'immeuble boulevard du Triomphe, "putain c'est pas possible c'est un vrai macchabée je te dis. C'est un vrai" on est pas dans Les Experts Miami, on est à Auderghem, il pleut, j'ai pas pris mes papiers, et j'entends de moins en moins lointaine la sirène des policiers.
Je dormirai mal ensuite. Puis ça ira de pire en pire. Je me réveille au début au beau milieu de la nuit, puis finalement je ne m'endors plus aussi facilement. Le monde devient soudainement cotonneux, mou, j'ai perdu toute sensibilité, les messages d'amour ne m'atteignent plus ni le matin ni le soir, je n'ai plus envie de rentrer nul part, je n'ai plus envie ni d'habitat, ni compagnon, ni animal, ni ami. Je veux rouler à l'infini, je veux rester dans ma voiture et me laisser bercer par le moteur, par mes mains sur le volant, mon pied qui accélère. Mon cœur qui se serre. J'ai soudainement besoin d'extrême pour simplement ressentir. Ressentir que je suis vivante, que mon sang bat aux temps furieusement, furieusement me débattre, boire jusqu'à vomir, coucher avec n'importe qui, outrageusement vivre.
Je ne fais rien de tout ça, j'y pense et ça me ronge.
Il y a d'un coup une dichotomie entre ce que je ressens, ce que je veux, et ce que je m'apprête à vivre. J'y pense la nuit et je réalise que tout ça a commencé au lendemain du cadavre, doucement. C'est venu doucement s'infiltrer en moi, se nourrir de quelque chose qui bout à l'intérieur de chaque ancien enfant qui est persuadé que sa destiné à lui sera différente. En vérité nous sommes les mêmes: nous espérons toujours, même si notre vie n'est qu'un battement d'aile dans l'océan du temps.
J'ai fini par ne pouvoir plus écouter que de l'Opéra, comme si cette musique était le seul langage que je réussisse à comprendre, ou qui me comprenne, je ne sais plus. J'ai aussi fini par rentrer de plus en plus tard, j'ai fini à ne plus aimer que la nuit et le silence. Rien n'a plus aucun intérêt que de me retrouver au bar à boire de la Corona avec mes collègues, à vouloir être libre, à vouloir être une femme forte de solitude, de hargne, une femme dans la tempête. A vouloir être au seuil de mon adolescence, ressentir le tremblement du cœur à son premier baiser, ressentir la folie de la découverte d'une autre personne, ressentir le froid mordant de la première neige, la douleur de la première blessure, la douleur de la perte. Ressentir la fureur de revivre et de se battre.
Il fait tout noir tu vois, et le pont de ce bateau-vie tangue dangereusement. Le vent s'est levé avec la découverte dans le buisson, on s'y attendait pas. Là où je croyais n'être que sur un fleuve tranquille, je suis en vérité au beau milieu de l'océan-monde, sur un radeau de bras multiples, vos bras, maman, papa, les bras de mes ancêtres, les bras de mes amis. Nous sommes dans les rafales, mes bras et moi, les vagues sont gigantesques, elles se lèvent immenses et s'abattent en un coup sur le ponton mais je maintien le cap. Je vais me retrouver. Ce n'est pas moi cette fille au cerveau emmailloté, j'ai combattu plus grands orages, et je connaitrai un jour de bien plus grands typhons. Ce n'est pas moi cette fille qui se délite sur le bord du chemin. Je lutte dans la mer déchainée, le sel râpe ma peau, mon radeau de chair est plein d'eau. Mais je maintiens le cap. Le doute est mon ami, il me permet toujours de finir par réinventer ma vie.
J'ai fini par ne pouvoir plus écouter que de l'Opéra, comme si cette musique était le seul langage que je réussisse à comprendre, ou qui me comprenne, je ne sais plus. J'ai aussi fini par rentrer de plus en plus tard, j'ai fini à ne plus aimer que la nuit et le silence. Rien n'a plus aucun intérêt que de me retrouver au bar à boire de la Corona avec mes collègues, à vouloir être libre, à vouloir être une femme forte de solitude, de hargne, une femme dans la tempête. A vouloir être au seuil de mon adolescence, ressentir le tremblement du cœur à son premier baiser, ressentir la folie de la découverte d'une autre personne, ressentir le froid mordant de la première neige, la douleur de la première blessure, la douleur de la perte. Ressentir la fureur de revivre et de se battre.
Il fait tout noir tu vois, et le pont de ce bateau-vie tangue dangereusement. Le vent s'est levé avec la découverte dans le buisson, on s'y attendait pas. Là où je croyais n'être que sur un fleuve tranquille, je suis en vérité au beau milieu de l'océan-monde, sur un radeau de bras multiples, vos bras, maman, papa, les bras de mes ancêtres, les bras de mes amis. Nous sommes dans les rafales, mes bras et moi, les vagues sont gigantesques, elles se lèvent immenses et s'abattent en un coup sur le ponton mais je maintien le cap. Je vais me retrouver. Ce n'est pas moi cette fille au cerveau emmailloté, j'ai combattu plus grands orages, et je connaitrai un jour de bien plus grands typhons. Ce n'est pas moi cette fille qui se délite sur le bord du chemin. Je lutte dans la mer déchainée, le sel râpe ma peau, mon radeau de chair est plein d'eau. Mais je maintiens le cap. Le doute est mon ami, il me permet toujours de finir par réinventer ma vie.
La veille de notre départ pour l'Italie, je n'avais plus envie de rien. J'étais échouée avenue Marie-Josée, ses préparatifs de mariage en Toscane ne me disaient plus rien. La beauté des pins parasols à flanc de colline, le silence sublime des montagnes, l'eau transparente de la mer, le romarin, les fleurs sauvages, ça ne me disait plus rien. Le bonheur de notre union ne me disait plus rien non plus, je préfère rester ici, entre mes bâtiments, sur mon bitume, mon ciel blanc-gris si bas, mes véhicules, ma pollution, mes luminaires, mes signalétiques, mon acier, mes chantiers, mes communications téléphoniques, ma virtualité. Mais je t'aime toujours.
Dans la tempête, dans le noir de mon cerveau, je t'aimais toujours, je n'avais seulement plus envie d'épouser qui que ce soit.
La veille du départ, je ne dormais plus du tout. C'était fini, le sommeil avait définitivement abandonné ma terre stérile comme un soleil fuyant. J'ai regardé autour de moi entre les vagues, mon petit bateau mental s'est échoué quelque part sur une île toute sèche et inhospitalière dont j'ai contemplé le vide toute la nuit. Il est peut être temps de parler à quelqu'un, alors je t'en parle à demi mot, tu vois cette histoire de macchabée et bien ça me travaille. Nous embarquons dans la cabine pressurisée, mon corps est séparé de moi, je me regarde bouger entre le duty-free, les départs, les arrivées, la voiture, le roulis lent du petit ferry.
Arrivés au port de Piombino le soleil décline doucement, c'est presque la fin du voyage. Je vois pour la première fois l'île d'Elbe en hiver. Je l'avais imaginé bien moins belle, elle est encore plus majestueuse avec ses montagnes qui s'élèvent dans le froid et le noir, la mer est dentelée de vagues levées par le vent, les nuages laissent passer des rayons fantomatiques et intrigants. Je retrouve le paysage dans lequel je me débat depuis des semaines, littéralement: voilà le ferry qui tangue sous la houle, la nuit est brutalement tombée et le bateau est presque vide, c'est le dernier voyage de la journée. On s'enfonce inexorablement sur l'eau, je suis d'un coup surexcitée comme un enfant: Voilà c'est ici qu'on essayait de m'emmener! Depuis des semaines, depuis des semaines ces éléments qui m'enchaînent, ce combat à l'intérieur, cette incompréhension. Et c'est ici que devais aller.
Les ponts sont glissants, mes mains agrippent de toute leur force le garde-corps tout sale, il se met à pleuvoir. Je bois la pluie toute langue dehors, je la reçois sur mon visage comme un baptême de nouvelle ère. C'est ici que tu voulais me faire venir, toi. Qui que tu sois. En une fois je comprends. Je tourne la tête et celui que j'aime est là, il m'accompagne sous le délire du ciel, sur ce ferry qui n'en peut plus de naviguer, il est aussi sur le ponton, nous sommes bien finalement tous dans le même bateau, même si la mort est partout. Je me revois la nuit passée sur mon radeau, je croyais défier la mort et la vieillesse, le temps qui passe et me dépasse de plus en plus, je croyais que vivre c'était essayer de tout de nouveau ressentir, je croyais que vivre c'était surtout de ne rien essayer de construire.
Mais, le temps des fiançailles, c'est aussi le temps de la mort. La mort de l'enfance, la mort de la jeune fille qui trainait sur les quais du Rhône, la mort de la fille qui attendait au café La Gargouille des heures durant des rêves qui ne venaient jamais, la mort de la fille qui jouait dans la petit square rue de la Perralière, qui rêvait d'avoir un jardin. La valeur de la vie, c'est bien cet amour qu'on nous a transmis et qui nous fait tenir sous la houle, les autres qui nous arriment, nos autres comme une ancre gigantesque plantée dans l'océan.
Je te regarde et je sais.
Je m'agenouille ici sur le ponton glissant dans la bourrasque de la nuit.
Dans l'orage comme dans l'accalmie, dans la nuit noire comme au zénith, dans la faim comme dans l'abondance,
veux-tu être mon ancre ?
Dans la tempête, dans le noir de mon cerveau, je t'aimais toujours, je n'avais seulement plus envie d'épouser qui que ce soit.
La veille du départ, je ne dormais plus du tout. C'était fini, le sommeil avait définitivement abandonné ma terre stérile comme un soleil fuyant. J'ai regardé autour de moi entre les vagues, mon petit bateau mental s'est échoué quelque part sur une île toute sèche et inhospitalière dont j'ai contemplé le vide toute la nuit. Il est peut être temps de parler à quelqu'un, alors je t'en parle à demi mot, tu vois cette histoire de macchabée et bien ça me travaille. Nous embarquons dans la cabine pressurisée, mon corps est séparé de moi, je me regarde bouger entre le duty-free, les départs, les arrivées, la voiture, le roulis lent du petit ferry.
Arrivés au port de Piombino le soleil décline doucement, c'est presque la fin du voyage. Je vois pour la première fois l'île d'Elbe en hiver. Je l'avais imaginé bien moins belle, elle est encore plus majestueuse avec ses montagnes qui s'élèvent dans le froid et le noir, la mer est dentelée de vagues levées par le vent, les nuages laissent passer des rayons fantomatiques et intrigants. Je retrouve le paysage dans lequel je me débat depuis des semaines, littéralement: voilà le ferry qui tangue sous la houle, la nuit est brutalement tombée et le bateau est presque vide, c'est le dernier voyage de la journée. On s'enfonce inexorablement sur l'eau, je suis d'un coup surexcitée comme un enfant: Voilà c'est ici qu'on essayait de m'emmener! Depuis des semaines, depuis des semaines ces éléments qui m'enchaînent, ce combat à l'intérieur, cette incompréhension. Et c'est ici que devais aller.
Les ponts sont glissants, mes mains agrippent de toute leur force le garde-corps tout sale, il se met à pleuvoir. Je bois la pluie toute langue dehors, je la reçois sur mon visage comme un baptême de nouvelle ère. C'est ici que tu voulais me faire venir, toi. Qui que tu sois. En une fois je comprends. Je tourne la tête et celui que j'aime est là, il m'accompagne sous le délire du ciel, sur ce ferry qui n'en peut plus de naviguer, il est aussi sur le ponton, nous sommes bien finalement tous dans le même bateau, même si la mort est partout. Je me revois la nuit passée sur mon radeau, je croyais défier la mort et la vieillesse, le temps qui passe et me dépasse de plus en plus, je croyais que vivre c'était essayer de tout de nouveau ressentir, je croyais que vivre c'était surtout de ne rien essayer de construire.
Mais, le temps des fiançailles, c'est aussi le temps de la mort. La mort de l'enfance, la mort de la jeune fille qui trainait sur les quais du Rhône, la mort de la fille qui attendait au café La Gargouille des heures durant des rêves qui ne venaient jamais, la mort de la fille qui jouait dans la petit square rue de la Perralière, qui rêvait d'avoir un jardin. La valeur de la vie, c'est bien cet amour qu'on nous a transmis et qui nous fait tenir sous la houle, les autres qui nous arriment, nos autres comme une ancre gigantesque plantée dans l'océan.
Je te regarde et je sais.
Je m'agenouille ici sur le ponton glissant dans la bourrasque de la nuit.
Dans l'orage comme dans l'accalmie, dans la nuit noire comme au zénith, dans la faim comme dans l'abondance,
veux-tu être mon ancre ?
11 février 2015 Comments Off
Les collines sont nappées d'une brume blanche à l'aube, parfois ça ne part plus, elles sont baignées comme ça, auréolées de fumées, de lumière, couronnées de petits oiseaux noirs. Ces collines ont l'odeur des montagnes mais leur terre est dorée, car c'est là que le soleil s'est endormi, ici, entre les ruines romaines et quelques oliviers. C'est l'hiver sur la Méditerranée.
Ici les vergers sont vivants même en janvier, il y a de gros arbres aux feuilles patinées comme du cuir qui donnent des fleurs blanches si parfumées qu'elles deviennent impossible à oublier. Puis arrivent des baies rondes, jaunes et juteuses comme des soleils, ce sont les néfliers.
C'est une saveur que l'on ne sait pas oublier. C'est celle du verger d'hiver, celui des arbousiers qui fleurissent toute l'année, c'est le jardin qui ne s'endort jamais. Quand le reste du monde attend sous la bourrasque, ici la pluie nourri
les lits des rivières enfouies, les steppes se couvrent de mousse, de
jasmin rosé, de chèvrefeuille et de laurier. Il y a des millénaires, les
Oueds étaient des océans, il n'y avait pas d'hiver. Il n'y avait que
les vagues, le roulis de la mer et la botanique mystère des fonds
marins, sans aucune saison ni rien. Alors on cueille des coquillages fossilisés, et des coléoptères ambrés.
Sur les toits plats on empile des tapis tissés comme autant de couvertures bigarrées. Il fait froid mais l'on dort dehors, peut importe le gel, mes pieds sont peut-être glacés mais mon cœur est si chaud de me sentir vivante. Entendre cette nature, m'en éprendre. Les chiens se blottissent contre moi, les enfants ont les petits cheveux collés au front, il n'y a que l'odeur rassurante du thé fort et sucré, du pain dans le four à pierre, des amandes grillées. Se nourrir, respirer, saisir.
Saisir dans le froid cet hiver sans lumignons, sans festins, seulement le silence des beaux matins, le rythme constant des troupeaux qui vont et viennent sur les chemins. Parfois un autobus se perd entre deux villages, alors les fruits des cactus sont comme des lanternes qui rougeoient dans le soir.
Quoi que ce soit
28 janvier 2015 Comments Off
La nuit je me réveille beaucoup, les mains tremblante, pleine de cette excitation de vie là qui me prends à la gorge comme lorsque j'avais dix-sept ans. Cette pulsion de vie là. J'ai réalisé à quatre heures du matin, en pleine nuit dans ce clic clac brun orienté sud-ouest, dans cette campagne accrochée à la ville qui revit dans le noir, dans le bruit des petits rongeurs, des oiseaux gris, du matin qui arrive, j'ai réalisé à quatre heures du matin d'où venait cette excitation d'angoisse, de fin, de non avenir imminent, de déclin. C'est qu'il y a quinze jour je marchais le long du chemin de fer derrière le boulevard du Triomphe, je faisais mon travail, je grimpais dans l'air froid, je détaillais ce bâtiment nouveau en portefeuille, intriguant. Mon regard s'est arrêté dans un bosquet, ce que j'ai pris pour une poubelle, un conglomérat de déchets, était un grand cadavre. Son crâne était tout nu, les os des jointures de ses mains polis depuis plusieurs semaines, sa mâchoire grande ouverte comme un grand cri silencieux dans le jardin arrière. Ses jambes étaient coupées, rouges, vertes et brunes, camaïeu intriguant. Il était habillé comme n'importe qui avec un polo noir et une petite chemise. Mais ses jambes étaient coupées et sa peau partait en lambeaux,
et il criait dans le silence.
Mon esprit ne percutait pas, j'ai dit à M. mais non ce n'est qu'une poubelle tu vois. Ce n'est qu'une poubelle, nos yeux sont mystifiés par notre quotidien absent d'horreurs, nos bras pleins de chairs bien à leur place, les veines battantes, les bouches chaudes, quand je t'embrasse, quand je te dis à ce soir, passe une bonne journée, ne reviens pas tard. Nos yeux sont mystifiés par le bonheur. Et lui il gisait là sans sépulture, les mains repliés, la face sans visage et pourtant pleine de douleur. La police est venue, puis le parquet, tout à été bouclé, on a été entendu, analysés, auditionnés. La journée prenait un autre tournant qui ma foi sortait de l'ordinaire grâce à cet inconnu mutilé caché à l'arrière.
Puis j'ai continué depuis quinze jours ma petite existence; comme si de rien n'était. Mais depuis il y a cette sorte d'excitation de vie, d'angoisse, j'ai peur et je jubile. C'est comme un premier amour. J'aimerai courir pour me rattraper. Me secouer des deux mains pour ne pas tout foutre en l'air. Je m'agite à l'intérieur de moi comme un derviche tourneur, je me retourne _ai-je fais des mauvais choix ?- je souris et je pleure en même temps. Il n'y a personne a qui parler ici. Ici c'est le boulevard du Souverain, puis Wezembeek-oppem, puis rien. Les lieux sont limités, les gens aussi, le quotidien est toujours le même, ça doit me convenir.
Nous sortons boire des ramées blondes avec ma nouvelle équipe. X. me dit que je dois apprendre à canaliser ma séduction. Qu'il na jamais rien vu de pareil. Tes paroles me rassurent et me rendent amère, toi qui est comme un père ma foi un peu incestueux, adultère.
Je dis que séduire est un jeu, tu souris, tu parles de la jeunesse, des chiens fous, des moments d'égarement _quand s'égare-on, peut-on se perdre définitivement, dis moi. Après-tout, la vie n'est un jeu intéressant. Je n'oublie pas tes paroles je les enterre en moi. Je reprends ma voiture, un peu grisée, un peu triste, encore cette excitante anxiété de la vie qui pousse, de la vue du cadavre, de la vie qui passe vite, de la faiblesse humaine. De ce que je crois connaître, de ce que je crois que je suis, de cette femme que je crois être. De tout ce que l'on tente de se convaincre sans entendre cette fois au fond de nous qui dit : Crée, renaîs-toi toi même.
Nous sortons boire des ramées blondes avec ma nouvelle équipe. X. me dit que je dois apprendre à canaliser ma séduction. Qu'il na jamais rien vu de pareil. Tes paroles me rassurent et me rendent amère, toi qui est comme un père ma foi un peu incestueux, adultère.
Je dis que séduire est un jeu, tu souris, tu parles de la jeunesse, des chiens fous, des moments d'égarement _quand s'égare-on, peut-on se perdre définitivement, dis moi. Après-tout, la vie n'est un jeu intéressant. Je n'oublie pas tes paroles je les enterre en moi. Je reprends ma voiture, un peu grisée, un peu triste, encore cette excitante anxiété de la vie qui pousse, de la vue du cadavre, de la vie qui passe vite, de la faiblesse humaine. De ce que je crois connaître, de ce que je crois que je suis, de cette femme que je crois être. De tout ce que l'on tente de se convaincre sans entendre cette fois au fond de nous qui dit : Crée, renaîs-toi toi même.
Mourir debout
8 janvier 2015 Comments Off
Il est six heures du soir dans mon bureau doré.
Il ne neige plus, il y a comme une odeur de félicité de partout, de retour de congés, on se bidonne lourdement à la machine à café le ventre plein de saumon fumé. C'était le début d'une année où nous nous pensions invincibles, simplement spectateurs de la désolation, la peur juste sur l'écran de la télévision, à des kilomètres de notre chariot plein de courses, de nos afterwork, de nos happy hours. Aujourd'hui l'heure est sombre. Tout d'un coup la nuit est tombée, le danger s'est ramassé à nos portes, tapi dans l'ombre, mouvant, insaisissable, voire incompréhensible.
Il ne neige plus, il y a comme une odeur de félicité de partout, de retour de congés, on se bidonne lourdement à la machine à café le ventre plein de saumon fumé. C'était le début d'une année où nous nous pensions invincibles, simplement spectateurs de la désolation, la peur juste sur l'écran de la télévision, à des kilomètres de notre chariot plein de courses, de nos afterwork, de nos happy hours. Aujourd'hui l'heure est sombre. Tout d'un coup la nuit est tombée, le danger s'est ramassé à nos portes, tapi dans l'ombre, mouvant, insaisissable, voire incompréhensible.
Ma tasse de café a tapé sur le coin du clavier, puis quelque chose à l'intérieur de moi est mort, sans crier. A Bruxelles, il ne s'est rien passé, les voitures ont continué leur ballet sans souveraineté, je suis restée longtemps dans un embouteillage à simplement pleurer. Je n'ai pas peur, tu sais. Tu sais j'ai regardé ces foules se rassembler comme un seul pays de part le monde entier. Cette foule qui dit comme un seul homme: je suis l'Humanité. Nous nous pensons toujours invincibles, jusqu'à ce que cette lance se plante au cœur de toute notre grande philosophie.
Alors je marche. De la gare du Midi jusque Gare du Nord, et dans le monde entier, nous marchons tout fronts dehors pour nous lever contre l'obscurantisme. Nous marchons dans le froid les doigts gelés pour rendre hommage dans la plus simple humilité à ceux qui le combattent, hier, aujourd'hui et demain. Nous marchons pour rester debout, et pour rester en vie. Je hurle à l'intérieur de moi que je préfère mourir que de ne pas pouvoir m'exprimer, exister.
Ce soir, je suis tout le monde.
Je suis toutes les langues, tous les alphabets.
Toutes les bouches, tous les bras levés
Toutes les mains calleuses, les pieds fatigués.
Plutôt écrire toute la nuit que me taire à jamais.
Ce soir, je suis tout le monde.
Je suis toutes les langues, tous les alphabets.
Toutes les bouches, tous les bras levés
Toutes les mains calleuses, les pieds fatigués.
Plutôt écrire toute la nuit que me taire à jamais.