Archive for août 2011

Erase & rewind

31 août 2011 Comments Off

Tu m'as finalement jeté au téléphone moi et tous tes collatéraux jusque ta descendance. J'étais au milieu du parc des sports, ces cinq stades vides et un ballon crevé. Je me suis assise sur une bordure éclatée par un bardage griffé, Givors est devenu à nouveau cet amas de terres polluées et de micro pieux en acier abandonnés. Je me suis retrouvée avec Cyriac, le mécano des avions qui prend le train de 18h16, on peut lui citer une rue parisienne et il connait l'arrondissement, alors on fait des jeux dans un café. Le soleil est parti brutalement, c'était déjà il y a quelques mois.

Rentrer dans le début du soir.
Un goût de métal dans la bouche. 
Il y a des orages terribles sur quelques grands ensembles.
Que des images de banlieues industrielles, pylônes gris
et grandes cheminées noires.

Le paysage est loin.



At Last

28 août 2011 Comments Off

Orages violents sur New York City, voitures piégées quotidiennes, morts stupides dans un coin de garage, le monde a toujours son habituelle grosse tumeur à l'aine, mais cette semaine n'était pas ordinaire. Le mois d'août non plus, puisqu'il y a cette histoire à raconter, et qu'elle semble se finir. Il y a trente-cinq ans, tu partais d'un coup de tête quelque part, parce qu'au détour d'un café elle t'avait dit que tu fumais trop, que tu en avais surement marre d'être la sœur qu'on appelait tête de mort. Je ne sais pas si vraiment tu étais différente, et qu'elle difformité ils t'ont trouvé pour te mettre à ce point de côté.

Tu as grandis un peu avec moi juste par leurs remords. Je t'ai écris des centaines de lettres sans adresse que je postais quand même. J'ai un passe-temps étrange tu vois, d'écrire à personne et à tout le monde à la fois. Je ne sais pas comment tu as disparu, ni pourquoi personne n'a trouvé la force de te chercher, ils disaient tous que c'était fini à chaque Noël, que tu devais être en Afrique noire au fond d'un café tenu par les chinois, un verre d'alcool industriel ou de bière au mil, tes empreintes digitales effacées par le khat. Alors, du Sénégal au Cameroun, faire tous les annuaires, les registres, listings de données molles, l’œil avide de ton nom de partout; De partout appeler des homonymes dans l'espoir de rencontrer ta voix. Inconnue dans l'ombre, quelque part dans l'équation du monde je n'ai jamais cessé de penser à toi. Moi l'appendice étrange, parente éloignée dont on a toujours dit que tu étais mon portrait caché.

Et trente-cinq ans après, voilà mon écriture bancale et cette photo prise à Tunis avec ma mère, le cou entouré par un serpent, dont la queue tombe négligemment dans la poussette d'où poussent deux yeux noirs. La lettre balancée jusque Paris nord.  J'ai dit que j'étais de la Chambre des notaires de Vendée pour ton acte de naissance, et puis j'ai jeté mon cœur jusqu'à toi, moi je savais que cette fois je ne me trompais pas. Le mois d'août n'a pas été ordinaire, non, j'avais rêvé de ce moment depuis des millénaires. Je sais que tu m'as appelée, plusieurs fois, tu as entendu ma voix de l'autre coté du grand bateau noir des années, et puis tu raccrochais. Je ne suis qu'un collatéral, intermédiaire du vide. Ton numéro en 01, j'ai pas voulu le décrocher non plus. Faire tant de choses pour te trouver pour au final ne pas être capable de te parler. Après tout, je ne suis qu'un appendice étrange, tu ne sais même que je suis née, qu'on m'a parlé de toi toute ma vie, toute ma vie sa sœur fantomatique. Le drame de ma mère, que tu ais disparu, les disputes de Noël sur ce passé que je ne comprends pas, c'était tout ça pour toi. 

Trente-cinq après. Vingt secondes de toi à mon oreille, quand tu me dis pourquoi maintenant, alors que c'est parce que personne n'a réussi avant à te trouver. Tu as une voix de fumeuse, et quand tu te sens mal à l'aise, tu deviens détachée. Te circonscrire rapidement. Bien sur que je viens, je prends le prochain train, samedi matin. Bien sur que je viens.
 

312° Kelvin

19 août 2011 Comments Off


Rien d'autre que la chaleur et un ressac de poussière le long de la voie C.
C'est vendredi et je traverse les bouts de bois brûlants qui flamberaient presque. Sous 102 degrés Fahrenheit la Vallée de Chimie sent la mort, le soufre et les gaz industriels, les cheminées rendent grâce aux nuages grisés par dizaine, le TER les traverse, voyage dans le métal, petit tour en enfer. Il y a deux ans je dormais chez Julien dans le salon à Gerland, et par la vitre dans la nuit d'hiver on voyait les fumées de l'Institut Français du Pétrole et toute la pétrochimie locale réunie qui peignait le ciel.

Calfeutrement provisoire pour le week end un peu déprimant. Persévérer à accumuler les choses à l'intérieur, contenir les tristesses éventuelles. Partout tout est si calme, pas une voix nulle part, les rues sont désertées, l'appartement aussi. Il fait trop chaud pour vivre hors du ventilateur. Je m'aventure seule sous la climatisation des magasins, les gens aussi regardent les vitrines glacées avant de revenir dans leurs chambres aux volets fermés. Et dans la canicule en août il n'y a rien à faire si ce n'est rester dans un bain de fleur de sel à dégorger lentement, et à attendre patiemment qu'un brin de vent revienne. J'ai l'impression d'avoir de belles choses en moi à donner, un jour, quelque part, ailleurs. Ailleurs que toujours au même endroit. Cesser de vivre à l'envers, cesser l'été, cesser le sentiment qu'il n'y a que la nuit qu'on espère.

In anima

15 août 2011 Comments Off

Longer le bord du quai, corps en cage en attendant un retard. Du matin au soir quelque chose qui se consume, barbecue intérieur. Il est dix-neuf heures sur la voie 1bis, celle que l'on doit traverser à pied sur des caillebotis de bois abîmé. Le soleil brille toujours c'est un enfant qui ne veut pas aller se coucher.

Pour atteindre la voie C de la gare , il faut passer un fleuve dangereux de cailloux vibrants et de trains de fret roulant tous fers dehors jusqu'aux usines. A Givors-Ville, on est resté dans les années quatre-vingt, les ménagères en bigoudis discutent aux pas de portes, les ouvriers sont en bleus de travail, les cols blancs sont en blanc, si blanc. ll y a eu une faille temporelle à Givors, on est maintenant dans le monde fou des projections satellites  balancés sur la petite TV du kebab d'à côté. Les émirats envoient leurs émissaires prosélytiques, publicités de shampoing, yaourt halal, pèlerinages dorés jusque la Mecque. Les grattes-ciels saoudites arrivent par centaine sur le plasma tout maigre du boitier, les façades sont de verre. Ils montrent aussi le désert. Toute la dichotomie du monde à la télé.

Je m'éteins tous les soirs vers quatre-heures du matin. Je ne sais plus, si je ne sais plus dormir, si je n'en ai plus envie. J'essaie de capter des étoiles filantes qui auraient la folie de passer au dessus de ce chaos humain. Il n'y a pas de repos dans ce bordel urbain. Les neufs mètres carrés de chambre sont occupés par des meubles, des reliefs de repas, des tapis, des photos de nous, des parfums que je ne porte plus, à quelques encablures on entends les voisins, ces autres qui respirent, et ce bébé qui pleure jusqu'au petit matin. Capharnaüm de vie ancienne, que je ne reconnais plus, et puis amas de vie nouvelle, que je rêve d'exporter ailleurs.

Le ciel ressemble à une toile de tableau déchiré par les nuages, les perséides sont passées et le mois d'août reste, silencieux démentiel. Le mois d'août c'est toujours le silence en banlieue. Le jour, je traine ma carcasse à la recherche d'une terrasse qui m'accueillerait sous ce ciel lourd et gris aux alentours de midi. Le dégoût ambiant de la semaine passée n'est toujours pas parti, je suis toujours malade mais je sors quand même. Fabien aussi dit que marcher jusqu'à Leeds, ça serait possible, mais qu'on ne peut pas faire ça en hiver. J'essaie d'envisager comment vont être ces mois où la raison doit l'emporter, où il faut se faire taire, s'endormir. Je ne garantis rien. Concrètement, ici, il n'y a rien à te raconter. Souvent je rêve de ne plus laisser de traces, de me fondre dans une forêt, un lac. Enfin, il y aurait à dire, autre chose qu'une longue marche juste rêvée. Prendre cette fois vraiment ce prochain train.

Le marché aux puces de la place Grand-clément a l'odeur des épices arabes et du poulet rôti, des fringues venues de Chine et du plastique petroleum des gadgets premier prix. Nous traversons les étals bâchés avec une grâce quelque peu angélique, jusqu'à cette petite maison de plein pied coincée entre deux chantiers. A Villeurbanne, les promoteurs sortent toutes dents dehors, les pavillons disparaissent pour des grands R+5 gris beiges avec vérandas, les trottoirs aux dimensions surprise deviennent odieusement standards, les poussettes sont high-tech, les gens restent les mêmes. Regards balancés en coin, jetés, lueurs vitrée d'un fond de lexomil, un verre de rouge, parfois c'est temporaire, le blanc est juste devenu terne par le jeûne religieux. Et ils pensent que ça nettoie leur âme. Les nuages s'amassent en gros boutons noirs, les primeurs lancent des harangues à qui vendra les brugnons les moins chers. Et puis quand la tempête éclate, c'est un torrent sur tous les fruits, les bacs d'olives vertes, une odeur de pourri.

Sous les vérandas, les volets sont frappés par une force mystérieuse, les plantes sécrètent de l'écume. La violence est partout mais les autres ils ferment les fenêtres, espérant laisser la nature à l'extérieur. Je me suis déshabillée sur la terrasse, car nue les éléments n'ont plus l'air étrangers, la menace s'efface. Les salves d'eau arrivent par vagues, me caressent brutalement, m'étreignent et me laissent-là. Contre la balustrade, le lit, reste ce corps douloureusement rêveur sous le ciel abîmé. Je brosse une petite toile sans titre, quelques inutilités, quand je ne suis qu'une marionnette factice du quotidien, portée par la houle et le désir qui se s'arrête pas.Je vis la nuit, et puis aussi le jour mon cœur est là,
Machine fébrile béante vers toi
Vingt-quatre heures sur vingt-quatre mon corps
Tente de suivre un cheval fou
                               toutes aortes dehors.

Away from home

11 août 2011 Comments Off

Je marche à travers de la clinique privée, les façades sont transparentes en rose et bleu, dehors il pleut et il faut faire le code de nuit pour accéder au laboratoire, comme si c'était la nuit noire. Le froid est de partout à l'intérieur. A l'intérieur, une vieille femme pense être enceinte et un grand black fixe les murs de la salle de prélèvement d'un air extatique. Deux infirmiers jouent au cartes, grand rêve éveillé. J'ai la bouche sèche, la nausée. La climatisation me suit partout, de partout c'est le froid artificiel puant, dehors, en moi, dedans.

Je n'ai pas vu les perséides, l'ensemble des nuits reste un pyjama sans étoiles. M'abîmer au fond de l'horizon Villeurbannais, quelques pansements plus tard. A la fenêtre, il ne reste plus qu'à attendre que cette tempête revienne. Qu'elle prenne à bras le corps les feuilles, déjà mortes, les brindilles, et moi avec. Les gouttes d'eau sont larges comme des pièces, dès dix-sept heures je suis malade, je dois sortir, je dois prendre le train, l'avion, le bateau, rouler, pédaler, marcher. Marcher même des jours entiers. Etre en mouvement pour s'émouvoir. Dans la banlieue dortoir, tout est morne, le ciel peut parfois devenir rose, parfois violet. Les voitures luisent dans les allées, des chats ressortent se cacher dans les haies et sous les rosiers. C'est le mois d'aout le plus printanier.

Il n'y a plus d'envol jusqu'aux rochers humides de la côte Atlantique, plus de traversées audacieuses le cœur accroché au vent, amant. Les trains express régionaux continuent de balancer leur système de refroidissement aux relents d'animaux de forêt morts. Certaines choses finissent par me dégoûter: l'odeur des usines du sud, le café. Nausée conflictuelle, reins gauche fatigué, quelques échographies où l'on voit l'intérieur lisse et mystérieuse de mon ventre, fond marin intriguant. J'ai deux ovules qui se baladent, sans prénom.

Dans ces journées sans germe sensible, vivre dans un flou local. Chercher sans comprendre la raison de ne pas savoir dormir, de ne pas pouvoir. Disséquer le manque, en vain, analyser le point de chute à deux heures du matin. Si c'est au dix-septième jour, si c'est après. Chercher ce qui me fait sentir mon futur étrangement incomplet, en ballotage quelque peu angoissant, sans clés. Sans avoir le défi de reconstruire une existence, juste quelques connaissances, quelques ailleurs, quelques données inconnues.  Spéculer dans le vide. Choisir par amour. Je sais c'est temporaire, ce truc en noir et blanc, cette série quotidienne. But I want a home away from home. Attendre de quelqu'un d'autre qu'il vienne nous dérober dans un rêve, et puis le reste est insomnie. Dans la nuit hors saison, frissons.


1332 - 2

6 août 2011 Comments Off

C'est la fin de la Bourgogne, le petit matin est arrivé.
Le Moyen Age est mort, à force de passer ces petits villages d'églises retranchés dans la nuit, ces clochers, ces vignobles ayant survécu au remembrement, à la guerre, ces terres arables. L'aube se lève sur des jachères de mauves et d'azalées, il ne fait pas encore chaud, je marche d'un pas leste, avec un vague sentiment confus de liberté. Des astragales poussent dans les jardins. Lorsque je t'ai rencontrée, je t'avais donné le nom de cette fleur aux pétales tout pâles.
En 1690, on envoyait des astragales pour dire :
vous m'avez guéri.

Au croisement du bassin francilien Sud, point trop d'histoire. Il s'agit de passer, à pied, les plaines d'autoroutes et de panneaux fous sans aucune signification. Après Sens et ses restes mérovingiens, on ne voit plus que les voitures en plein ballet pendulaire, chorégraphie tellement annihilante, géographie du vide. On ne voit plus que ces parisiens seuls, seuls à deux, seuls en famille. Seuls dans la frénésie. Au bord d'un quai de RER, contre un mur, certains tentent d'échapper à une foule, troupeau d'angoisse. Fuir Aulnay-sous-bois. Je passe la journée à traverser plusieurs cubes de béton, de villégiatures en bord de rue, de fonds de cours, de sous-terrains. Et puis dans le dernier métro du soir, je m'efface derrière un journal racontant joyeusement la faillite mondiale.

Succession de routes départementales et tristement périphériques. Toutes tournées vers ce centre du micro-monde qui s'auto-détruit. Je ne resterais pas à Paris, avec ces routes lisses, ces petites maisons de ville en bas côté, vies secrètes, non alignées. Banlieues tranquilles sans intérêt. Sans la mer, sans prétention. On peut toujours faire le choix d'une vie fade. Les avenues en France portent toutes les même noms, pourtant, il y a des différences. Entre la rue Jean Jaurès à côté de la tour de Bretagne, donnant le départ des quartiers nantais chics de Cassini à Copernic.Entre le cours Jean Jaurès traversant Grenoble, avenue la plus rectiligne d'Europe sur ces six kilomètres où je me perdais en plein hiver. Rien à voir. Dans ce périple fou, je quitte Clichy et Montfermeil, mont fermé. A Montfermeil les étangs et leurs petites îles ont été remplacés par un centre commercial. Les quartiers finissent par porter la nature seulement dans leur appellation, souvenir lointain, les bosquets, les oiseaux

Il faut une journée entière de marche pour arriver au cœur de l'Oise. Les forêts domaniales, Creil, Beauvais, ces noms de paysans somme toute plus agréables que le gris francilien. Au dessus du pont Saint-Maxence, les péniches longent les bords de marécages. Ici, on n'a rien bétonné, c'est une succession de fonds de vallons et de plateaux calcaires entaillés. Les rues pavées font mal aux pieds, je traverse d'ailleurs un village qui s'appelle Rue, comme si la France entière s'était transformée en une carte de conquistadora amoureuse, balisée jusqu'à toi. La Picardie est un espace tampon entre la frénésie des villes et la majesté silencieuse des bords de mer. On croit d'instinct qu'il n'y a rien à faire en Picardie, si ce n'est que de la traverser. Pourtant, c'est avec un léger pincement que je quitte Crèvecoeur-le-Grand.

Cela fait sept jours que l'on vogue, bateau ivre. Juste au bout de l'horizon fleurit Etaples, étape iodée dans l'estuaire. La côte d'Opale se délie, on ne voit pas la mer mais on la sent, animal fauve fait de lumière et d'eau. Je me souviens des photos prises au cap Gris-Nez où les moutons grignotent les embruns, le soleil est le même. Le même mois d'août. Dans l'usine de Saint-Frères, des petits enfants jouent au tennis de table, là où au 19ème on tressait  les cordes des marins. Mes pieds sont juste au bord de ce pays de chair fraiche, et de l'autre côté, à trente-quatre kilomètres, il y a Douvres et le Kent. Je me sens d'un coup comme un migrant, aspirant à l'autre rive, apatride du monde entier.
Si je pouvais traverser la mer.