Longer le bord du quai, corps en cage en attendant un retard. Du matin au soir quelque chose qui se consume, barbecue intérieur. Il est dix-neuf heures sur la voie 1bis, celle que l'on doit traverser à pied sur des caillebotis de bois abîmé. Le soleil brille toujours c'est un enfant qui ne veut pas aller se coucher.
Pour atteindre la voie C de la gare , il faut passer un fleuve dangereux de cailloux vibrants et de trains de fret roulant tous fers dehors jusqu'aux usines. A Givors-Ville, on est resté dans les années quatre-vingt, les ménagères en bigoudis discutent aux pas de portes, les ouvriers sont en bleus de travail, les cols blancs sont en blanc, si blanc. ll y a eu une faille temporelle à Givors, on est maintenant dans le monde fou des projections satellites balancés sur la petite TV du kebab d'à côté. Les émirats envoient leurs émissaires prosélytiques, publicités de shampoing, yaourt halal, pèlerinages dorés jusque la Mecque. Les grattes-ciels saoudites arrivent par centaine sur le plasma tout maigre du boitier, les façades sont de verre. Ils montrent aussi le désert. Toute la dichotomie du monde à la télé.
Je m'éteins tous les soirs vers quatre-heures du matin. Je ne sais plus, si je ne sais plus dormir, si je n'en ai plus envie. J'essaie de capter des étoiles filantes qui auraient la folie de passer au dessus de ce chaos humain. Il n'y a pas de repos dans ce bordel urbain. Les neufs mètres carrés de chambre sont occupés par des meubles, des reliefs de repas, des tapis, des photos de nous, des parfums que je ne porte plus, à quelques encablures on entends les voisins, ces autres qui respirent, et ce bébé qui pleure jusqu'au petit matin. Capharnaüm de vie ancienne, que je ne reconnais plus, et puis amas de vie nouvelle, que je rêve d'exporter ailleurs.
Le ciel ressemble à une toile de tableau déchiré par les nuages, les perséides sont passées et le mois d'août reste, silencieux démentiel. Le mois d'août c'est toujours le silence en banlieue. Le jour, je traine ma carcasse à la recherche d'une terrasse qui m'accueillerait sous ce ciel lourd et gris aux alentours de midi. Le dégoût ambiant de la semaine passée n'est toujours pas parti, je suis toujours malade mais je sors quand même. Fabien aussi dit que marcher jusqu'à Leeds, ça serait possible, mais qu'on ne peut pas faire ça en hiver. J'essaie d'envisager comment vont être ces mois où la raison doit l'emporter, où il faut se faire taire, s'endormir. Je ne garantis rien. Concrètement, ici, il n'y a rien à te raconter. Souvent je rêve de ne plus laisser de traces, de me fondre dans une forêt, un lac. Enfin, il y aurait à dire, autre chose qu'une longue marche juste rêvée. Prendre cette fois vraiment ce prochain train.
Le marché aux puces de la place Grand-clément a l'odeur des épices arabes et du poulet rôti, des fringues venues de Chine et du plastique petroleum des gadgets premier prix. Nous traversons les étals bâchés avec une grâce quelque peu angélique, jusqu'à cette petite maison de plein pied coincée entre deux chantiers. A Villeurbanne, les promoteurs sortent toutes dents dehors, les pavillons disparaissent pour des grands R+5 gris beiges avec vérandas, les trottoirs aux dimensions surprise deviennent odieusement standards, les poussettes sont high-tech, les gens restent les mêmes. Regards balancés en coin, jetés, lueurs vitrée d'un fond de lexomil, un verre de rouge, parfois c'est temporaire, le blanc est juste devenu terne par le jeûne religieux. Et ils pensent que ça nettoie leur âme. Les nuages s'amassent en gros boutons noirs, les primeurs lancent des harangues à qui vendra les brugnons les moins chers. Et puis quand la tempête éclate, c'est un torrent sur tous les fruits, les bacs d'olives vertes, une odeur de pourri.
Sous les vérandas, les volets sont frappés par une force mystérieuse, les plantes sécrètent de l'écume. La violence est partout mais les autres ils ferment les fenêtres, espérant laisser la nature à l'extérieur. Je me suis déshabillée sur la terrasse, car nue les éléments n'ont plus l'air étrangers, la menace s'efface. Les salves d'eau arrivent par vagues, me caressent brutalement, m'étreignent et me laissent-là. Contre la balustrade, le lit, reste ce corps douloureusement rêveur sous le ciel abîmé. Je brosse une petite toile sans titre, quelques inutilités, quand je ne suis qu'une marionnette factice du quotidien, portée par la houle et le désir qui se s'arrête pas.Je vis la nuit, et puis aussi le jour mon cœur est là,
Machine fébrile béante vers toi
Vingt-quatre heures sur vingt-quatre mon corps
Tente de suivre un cheval fou
toutes aortes dehors.
Pour atteindre la voie C de la gare , il faut passer un fleuve dangereux de cailloux vibrants et de trains de fret roulant tous fers dehors jusqu'aux usines. A Givors-Ville, on est resté dans les années quatre-vingt, les ménagères en bigoudis discutent aux pas de portes, les ouvriers sont en bleus de travail, les cols blancs sont en blanc, si blanc. ll y a eu une faille temporelle à Givors, on est maintenant dans le monde fou des projections satellites balancés sur la petite TV du kebab d'à côté. Les émirats envoient leurs émissaires prosélytiques, publicités de shampoing, yaourt halal, pèlerinages dorés jusque la Mecque. Les grattes-ciels saoudites arrivent par centaine sur le plasma tout maigre du boitier, les façades sont de verre. Ils montrent aussi le désert. Toute la dichotomie du monde à la télé.
Je m'éteins tous les soirs vers quatre-heures du matin. Je ne sais plus, si je ne sais plus dormir, si je n'en ai plus envie. J'essaie de capter des étoiles filantes qui auraient la folie de passer au dessus de ce chaos humain. Il n'y a pas de repos dans ce bordel urbain. Les neufs mètres carrés de chambre sont occupés par des meubles, des reliefs de repas, des tapis, des photos de nous, des parfums que je ne porte plus, à quelques encablures on entends les voisins, ces autres qui respirent, et ce bébé qui pleure jusqu'au petit matin. Capharnaüm de vie ancienne, que je ne reconnais plus, et puis amas de vie nouvelle, que je rêve d'exporter ailleurs.
Le ciel ressemble à une toile de tableau déchiré par les nuages, les perséides sont passées et le mois d'août reste, silencieux démentiel. Le mois d'août c'est toujours le silence en banlieue. Le jour, je traine ma carcasse à la recherche d'une terrasse qui m'accueillerait sous ce ciel lourd et gris aux alentours de midi. Le dégoût ambiant de la semaine passée n'est toujours pas parti, je suis toujours malade mais je sors quand même. Fabien aussi dit que marcher jusqu'à Leeds, ça serait possible, mais qu'on ne peut pas faire ça en hiver. J'essaie d'envisager comment vont être ces mois où la raison doit l'emporter, où il faut se faire taire, s'endormir. Je ne garantis rien. Concrètement, ici, il n'y a rien à te raconter. Souvent je rêve de ne plus laisser de traces, de me fondre dans une forêt, un lac. Enfin, il y aurait à dire, autre chose qu'une longue marche juste rêvée. Prendre cette fois vraiment ce prochain train.
Le marché aux puces de la place Grand-clément a l'odeur des épices arabes et du poulet rôti, des fringues venues de Chine et du plastique petroleum des gadgets premier prix. Nous traversons les étals bâchés avec une grâce quelque peu angélique, jusqu'à cette petite maison de plein pied coincée entre deux chantiers. A Villeurbanne, les promoteurs sortent toutes dents dehors, les pavillons disparaissent pour des grands R+5 gris beiges avec vérandas, les trottoirs aux dimensions surprise deviennent odieusement standards, les poussettes sont high-tech, les gens restent les mêmes. Regards balancés en coin, jetés, lueurs vitrée d'un fond de lexomil, un verre de rouge, parfois c'est temporaire, le blanc est juste devenu terne par le jeûne religieux. Et ils pensent que ça nettoie leur âme. Les nuages s'amassent en gros boutons noirs, les primeurs lancent des harangues à qui vendra les brugnons les moins chers. Et puis quand la tempête éclate, c'est un torrent sur tous les fruits, les bacs d'olives vertes, une odeur de pourri.
Sous les vérandas, les volets sont frappés par une force mystérieuse, les plantes sécrètent de l'écume. La violence est partout mais les autres ils ferment les fenêtres, espérant laisser la nature à l'extérieur. Je me suis déshabillée sur la terrasse, car nue les éléments n'ont plus l'air étrangers, la menace s'efface. Les salves d'eau arrivent par vagues, me caressent brutalement, m'étreignent et me laissent-là. Contre la balustrade, le lit, reste ce corps douloureusement rêveur sous le ciel abîmé. Je brosse une petite toile sans titre, quelques inutilités, quand je ne suis qu'une marionnette factice du quotidien, portée par la houle et le désir qui se s'arrête pas.Je vis la nuit, et puis aussi le jour mon cœur est là,
Machine fébrile béante vers toi
Vingt-quatre heures sur vingt-quatre mon corps
Tente de suivre un cheval fou
toutes aortes dehors.