C'est la fin de la Bourgogne, le petit matin est arrivé.
Le Moyen Age est mort, à force de passer ces petits villages d'églises retranchés dans la nuit, ces clochers, ces vignobles ayant survécu au remembrement, à la guerre, ces terres arables. L'aube se lève sur des jachères de mauves et d'azalées, il ne fait pas encore chaud, je marche d'un pas leste, avec un vague sentiment confus de liberté. Des astragales poussent dans les jardins. Lorsque je t'ai rencontrée, je t'avais donné le nom de cette fleur aux pétales tout pâles.
En 1690, on envoyait des astragales pour dire :
vous m'avez guéri.
Au croisement du bassin francilien Sud, point trop d'histoire. Il s'agit de passer, à pied, les plaines d'autoroutes et de panneaux fous sans aucune signification. Après Sens et ses restes mérovingiens, on ne voit plus que les voitures en plein ballet pendulaire, chorégraphie tellement annihilante, géographie du vide. On ne voit plus que ces parisiens seuls, seuls à deux, seuls en famille. Seuls dans la frénésie. Au bord d'un quai de RER, contre un mur, certains tentent d'échapper à une foule, troupeau d'angoisse. Fuir Aulnay-sous-bois. Je passe la journée à traverser plusieurs cubes de béton, de villégiatures en bord de rue, de fonds de cours, de sous-terrains. Et puis dans le dernier métro du soir, je m'efface derrière un journal racontant joyeusement la faillite mondiale.
Succession de routes départementales et tristement périphériques. Toutes tournées vers ce centre du micro-monde qui s'auto-détruit. Je ne resterais pas à Paris, avec ces routes lisses, ces petites maisons de ville en bas côté, vies secrètes, non alignées. Banlieues tranquilles sans intérêt. Sans la mer, sans prétention. On peut toujours faire le choix d'une vie fade. Les avenues en France portent toutes les même noms, pourtant, il y a des différences. Entre la rue Jean Jaurès à côté de la tour de Bretagne, donnant le départ des quartiers nantais chics de Cassini à Copernic.Entre le cours Jean Jaurès traversant Grenoble, avenue la plus rectiligne d'Europe sur ces six kilomètres où je me perdais en plein hiver. Rien à voir. Dans ce périple fou, je quitte Clichy et Montfermeil, mont fermé. A Montfermeil les étangs et leurs petites îles ont été remplacés par un centre commercial. Les quartiers finissent par porter la nature seulement dans leur appellation, souvenir lointain, les bosquets, les oiseaux.
Il faut une journée entière de marche pour arriver au cœur de l'Oise. Les forêts domaniales, Creil, Beauvais, ces noms de paysans somme toute plus agréables que le gris francilien. Au dessus du pont Saint-Maxence, les péniches longent les bords de marécages. Ici, on n'a rien bétonné, c'est une succession de fonds de vallons et de plateaux calcaires entaillés. Les rues pavées font mal aux pieds, je traverse d'ailleurs un village qui s'appelle Rue, comme si la France entière s'était transformée en une carte de conquistadora amoureuse, balisée jusqu'à toi. La Picardie est un espace tampon entre la frénésie des villes et la majesté silencieuse des bords de mer. On croit d'instinct qu'il n'y a rien à faire en Picardie, si ce n'est que de la traverser. Pourtant, c'est avec un léger pincement que je quitte Crèvecoeur-le-Grand.
Cela fait sept jours que l'on vogue, bateau ivre. Juste au bout de l'horizon fleurit Etaples, étape iodée dans l'estuaire. La côte d'Opale se délie, on ne voit pas la mer mais on la sent, animal fauve fait de lumière et d'eau. Je me souviens des photos prises au cap Gris-Nez où les moutons grignotent les embruns, le soleil est le même. Le même mois d'août. Dans l'usine de Saint-Frères, des petits enfants jouent au tennis de table, là où au 19ème on tressait les cordes des marins. Mes pieds sont juste au bord de ce pays de chair fraiche, et de l'autre côté, à trente-quatre kilomètres, il y a Douvres et le Kent. Je me sens d'un coup comme un migrant, aspirant à l'autre rive, apatride du monde entier.
Si je pouvais traverser la mer.
Le Moyen Age est mort, à force de passer ces petits villages d'églises retranchés dans la nuit, ces clochers, ces vignobles ayant survécu au remembrement, à la guerre, ces terres arables. L'aube se lève sur des jachères de mauves et d'azalées, il ne fait pas encore chaud, je marche d'un pas leste, avec un vague sentiment confus de liberté. Des astragales poussent dans les jardins. Lorsque je t'ai rencontrée, je t'avais donné le nom de cette fleur aux pétales tout pâles.
En 1690, on envoyait des astragales pour dire :
vous m'avez guéri.
Au croisement du bassin francilien Sud, point trop d'histoire. Il s'agit de passer, à pied, les plaines d'autoroutes et de panneaux fous sans aucune signification. Après Sens et ses restes mérovingiens, on ne voit plus que les voitures en plein ballet pendulaire, chorégraphie tellement annihilante, géographie du vide. On ne voit plus que ces parisiens seuls, seuls à deux, seuls en famille. Seuls dans la frénésie. Au bord d'un quai de RER, contre un mur, certains tentent d'échapper à une foule, troupeau d'angoisse. Fuir Aulnay-sous-bois. Je passe la journée à traverser plusieurs cubes de béton, de villégiatures en bord de rue, de fonds de cours, de sous-terrains. Et puis dans le dernier métro du soir, je m'efface derrière un journal racontant joyeusement la faillite mondiale.
Succession de routes départementales et tristement périphériques. Toutes tournées vers ce centre du micro-monde qui s'auto-détruit. Je ne resterais pas à Paris, avec ces routes lisses, ces petites maisons de ville en bas côté, vies secrètes, non alignées. Banlieues tranquilles sans intérêt. Sans la mer, sans prétention. On peut toujours faire le choix d'une vie fade. Les avenues en France portent toutes les même noms, pourtant, il y a des différences. Entre la rue Jean Jaurès à côté de la tour de Bretagne, donnant le départ des quartiers nantais chics de Cassini à Copernic.Entre le cours Jean Jaurès traversant Grenoble, avenue la plus rectiligne d'Europe sur ces six kilomètres où je me perdais en plein hiver. Rien à voir. Dans ce périple fou, je quitte Clichy et Montfermeil, mont fermé. A Montfermeil les étangs et leurs petites îles ont été remplacés par un centre commercial. Les quartiers finissent par porter la nature seulement dans leur appellation, souvenir lointain, les bosquets, les oiseaux.
Il faut une journée entière de marche pour arriver au cœur de l'Oise. Les forêts domaniales, Creil, Beauvais, ces noms de paysans somme toute plus agréables que le gris francilien. Au dessus du pont Saint-Maxence, les péniches longent les bords de marécages. Ici, on n'a rien bétonné, c'est une succession de fonds de vallons et de plateaux calcaires entaillés. Les rues pavées font mal aux pieds, je traverse d'ailleurs un village qui s'appelle Rue, comme si la France entière s'était transformée en une carte de conquistadora amoureuse, balisée jusqu'à toi. La Picardie est un espace tampon entre la frénésie des villes et la majesté silencieuse des bords de mer. On croit d'instinct qu'il n'y a rien à faire en Picardie, si ce n'est que de la traverser. Pourtant, c'est avec un léger pincement que je quitte Crèvecoeur-le-Grand.
Cela fait sept jours que l'on vogue, bateau ivre. Juste au bout de l'horizon fleurit Etaples, étape iodée dans l'estuaire. La côte d'Opale se délie, on ne voit pas la mer mais on la sent, animal fauve fait de lumière et d'eau. Je me souviens des photos prises au cap Gris-Nez où les moutons grignotent les embruns, le soleil est le même. Le même mois d'août. Dans l'usine de Saint-Frères, des petits enfants jouent au tennis de table, là où au 19ème on tressait les cordes des marins. Mes pieds sont juste au bord de ce pays de chair fraiche, et de l'autre côté, à trente-quatre kilomètres, il y a Douvres et le Kent. Je me sens d'un coup comme un migrant, aspirant à l'autre rive, apatride du monde entier.
Si je pouvais traverser la mer.