Le jour où l'on décide de me démanteler

10 février 2008 Comments Off

Saint-Vincent était froid, Inselvini cinglante, je ne m’y attendais pas. Le vent a tourné par surprise, peut-être qu’elle l’avait prévu, je ne sais pas. Je regrette immédiatement d’être venue en pantalon. Vous auriez pu voir ce corps qui se renouvelle, je vous jure que je renverse le tyran en moi, Elizabeth, je me décriminalise, ne dites pas que je n’y arrive pas. Les apparences ne prennent pas. « Cessez d’intellectualiser nos séances. Vous me trompez, vous vous trompez vous-même » Si vous cessiez de m’ériger en despotique enfantine qui boude ses assiettes, peut-être que je le ferais. Je ne te trompe pas Elizabeth, je suis même trop fidèle à ton étiquette de violent épicurisme qui au final me donne des nuits blanches le dos contre le carrelage à m’empêcher de faire vomir et haïr mes parents. Les gourmands sont des esclaves autant que moi, après tout. Cet autoritarisme soudain ne me plait pas. Elle dit que maintenant il faut changer, il faut appliquer ce qui est jusque là intellectuel et au fond désobéissant. Ma peau se floute d’un coup. Je me suis symboliquement multipliée par deux en quelques mois, j’ai retrouvé un poids normal, mais qui êtes vous au juste ici, au milieu de cette pièce étrange, mi salon mi guillotine, pour me dire. J’ai adopté dix mille alimentations dix mille jeûnes, et je sais maintenant que le corps se raidit vers ce qui ne vient jamais, c’est une main tendue en vain. La restriction était mieux après tout sans me remplir je ne ressentais rien. On souligne mon changement de partout, les apparences sont admirables. J’ai retrouvé une photo de moi sur le journal où mon voisin pensait que j’étais gravement malade. Il avait sans doute raison. Pourtant la maigreur ne m’a jamais parue édifiante, et je ne me suis jamais vu maigre. Je n’ai jamais été assez maigre pour. Pour arriver à quoi en vérité. Il faut bien mettre les mots sur les choses, je n’ai jamais été assez maigre pour me tuer.

Un Samedi familial. Parfois nous avons ce besoin de nous retrouver comme deux quidams les mains jointes par du sang bouilli : le père, et ce qu’il reste de la fille. Ainsi nous voilà roulant sous un crépuscule rose fatalement nataliste. La plaine de l’Est est printanière aujourd’hui et la serveuse du bar est jolie. Est-ce que je revis, soudainement ? Peut-être que vous avez vos raisons Inselvini, il ne faudrait pas venir devant Carrier les bras décharnés à nouveau. Mais que fait-on alors car le reste est toujours aussi vacant, l’intérieur est toujours aussi boiteux et souffrant, tu me dis que je suis belle mais ma beauté me démange j’aime m’enlaidir maigrir et ne plus plaire, séduire me dérange. Je ne suis pas une femme tu as raison Elizabeth. Je te disais : « être enceinte, je n’exclus pas, je trouve juste ça étrange. » Elle répond presqu’en souriant : ça vous reste extra ordinaire puisqu’aucun enfant n’enfante. Je suis sortie de Saint-Vincent la rage au ventre. Vas-tu m’apprendre la vie encore ? Elle me demande de remanger normalement parce qu’elle me le demande. Il faut bien revivre par soi même n’est-ce pas, il faut bien faire ces efforts dont tu parlais et qu’au fond je n’ai encore jamais faits. Rester forte c’est beau à dire. Comment te dire qu’en vérité j’ai cette peur intense de me remplir et d’y rester, qu’en quarante cinq minutes je ne peux pas te dire tous les rêves que je fais ni la fatigue qui me prend à la gorge tous les matins. Dis-moi Elizabeth, est-ce le printemps ou l’hiver qui revient ? Je ne resterais pas à Lyon. De partout elle me blesse et me rappelle à l’ordre, tu comprends. On ne peut pas être heureux dans les mêmes lieux de la même façon.

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