Le dire

4 septembre 2013 Comments Off


L'été est passé en Toscane, ce fut comme une caresse.
Il n'y a rien à dire de l'île d'Elbe, il y a tout à chanter, tu vois. Il y a à faire l'amour, il y a à s'aveugler de ce bleu quasi vibrant, et chanter. S'abreuver de la beauté brutale de la mer, plonger, et chanter. Il n'y a rien à dire, tout à ressentir. C'est brut, c'est brutal. Sentir là dans ma main les châtaigniers, les pins, les petites chèvres musquées. Et puis la chaleur de ces beaux matins, la chaleur de ta peau, cette moiteur qui me couvre. Ton regard qui me traverse. Nos pas sur le même chemin. C'est un paradis qui ne se raconte pas. Il y a une telle beauté violente de couleurs, de bruits, d'odeurs. C'est comme être très amoureux. Le départ fera mal, il ne fera pas de cadeau. On regardera Portoferraio s'éloigner doucement dès l'aube, ses façades rougeoyant au matin. On comptera les mois jusqu'à la vie nouvelle, peut être jusqu'à la seule vie que l'on vive vraiment. Il n'y a rien à dire de l'île d'Elbe si ce n'est que c'est comme une passion, c'est apprendre à exister intensément.


On regarde les étoiles au fond des Ardennes belges, c'est la fin de semaine.
Un château fort vendu par un croisé pour payer le voyage en Terre Sainte fait office de ruine monumentale dans laquelle se pressent les badauds lors d'une foire médiévale. Nous nous échappons de la ville pour jouer aux fauconniers, taquiner l'eau de nos pagaies, nous nous échappons d'ici pour nous retrouver, entre le feu et le vent, au milieu de la forêt. Retrouver cette même animalité qui nous habite. C'est celle qui nous lie, c'est celle qui nous a fait nous rencontrer.
Quand tout n'était que désir, instinct.
Quand tout nous poussait l'un vers l'autre à la recherche de ce corps, de ce souffle, de ce divin.
Ce don millénaire qu'a l'homme à espérer se retrouver dans une autre personne.
Tu sais, il a fallu aller si loin pour que je puisse enfin te le dire.
Te le dire doucement, prudemment, car au final on ne sait jamais si ce n'est pas qu'un moment d’égarement, qu'un fragment, qu'un bonheur temporaire_ Pour combien de temps encore le malheur nous oublie-t-il?_
Mais le dire quand même, si simplement te le dire, me le dire à moi-même.
Vous le dire.

De retour de l'île d'Elbe, je suis revenue à Bruxelles avec beaucoup d'espoir.
J'avais juré ne jamais acheter de maison en briques rouge, j'avais peut-être même jurer de ne rien acheter tout court. Mais j'ai ce besoin étrange de lier ma vie à la tienne par quelques pierres éparses et un bout de jardin sous les avions flamands. Dans un coin du terrain, il y a cette vieille bicoque des années mil neuf cent aux volets peint en bleu, toute blanche. C'est loin de Sidi Bou Said mais j'y ai vu un signe. Tout semblait évident, cette maison je l'ai reconnue: la vieille cheminée aux soldats de pierre bleue, le poêle belle époque, et même la terre cuite. Je voudrais te dire que j'ai peur, que je nous ai vu en rêve, que ça ne finissait pas si bien. Mais ce n'est pas vrai, je n'ai plus peur de rien. Dans ce bout d'horizon, je crois même au destin. A cette maison qui nous fera grandir, à ta main dans la mienne, à nos enfants, aux plus beaux lendemains.

Je ne suis pas revenue en Tunisie, une sorte d'angoisse étrange m'en a empêché, celle de te montrer cette autre culture qui me rassemble sans me ressembler. Celle qui me rend si différente de toi. Puis il y a eu Chrokri qu'on a assassiné, et puis ce désert qui ne semble vouloir de plus personne. J'aurais voulu retourner en Tunisie complètement seule, sans en parler à personne. Prendre un avion à tout hasard, peut être un vendredi soir. Une chambre à l'hotel El Hana, sur l'avenue Habib Bourguiba. Plonger ma tête toutes narines ouvertes dans le jasmin, dans la nuit chaude, dans la sueur, dans le cumin. Prendre à bras le corps ma solitude, me jeter à l'eau vers cette famille qui a peut être un jour voulu de moi. Leur parler de ma vie, la leur chanter peut être, leur dire que comme tout le monde mes jours raccourcissent, que la fin n'est pas loin. Que je les aimerai toujours, que leurs visages sont en moi, que je leur veux du bien.

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