La Vie je ne sais pas

16 juin 2009 Comments Off

Rue Grenette. Les mats des gens vont et viennent, c'est le port des grandes marques et des grands apparats. Moi je n'achète plus rien, j'essaie de me convaincre que ma valeur est là, dans le creux de mes reins. La chair, par poignée, la chair. Je n'ai pas grossi pourtant: une balance a été sculptée dans le marbre du crâne, à l'arrière. Hypothalamus du gras et du glucide. Quand ça ne vas pas il faut maigrir. Je le dis de façon despotique comme je disais à Rita : avant d'être anorexique je suis tyrannique.

La
première visite à Rita fut celle classique de tout mendiant face au médium de l'inconscient: je voulais que vous me soigniez, que vous touchiez ma plaie, mes petites écrouelles cachées. Elle fronçait les sourcils à me mesure que je parlais, j'avais honte et je suais. Je disais: je suis désolée de venir, désolée de vous déranger, désolée de vous payer. Elle me répondait: vous êtes désolée de vivre aussi.

Oui. J'aimerais aussi m'excuser de mon existence alors que les autres n'existent pas. Vous savez c'est comme s'il y avait un deuil continuel en moi et que j'avais peur à nouveau de perdre ce qui reste. Ce qui est reste est à vivre a dit Rita. Mais comment vivre quand ils ne sont pas là? J'ai raconté l'histoire du fleuve sanguin, des piqûres d'hormones et de l'utérus gonflé d'embryons luisants sous l'ultrason. Je pourrais presque vous donner leur nom, et puis plus le temps passe plus ils s'incrustent en moi par le biais du couteau. Plus je veux disparaître comme ils ont disparu. Cette tache de sang dans la cuvette, ce flou déchu. Voilà mon deuil, qui ne s'en va jamais.

Parfois j'ai le souvenir de nos disputes horribles pendant lesquelles je me recroquevillais et leur ombre apparaissait en halo gris, ils me disaient: c'est novembre, c'est tous les jours novembre, Sarah, c'est comme ça. Quand ils me parlent encore dans le couloir j'ai envie de leur répondre: Vous savez je ne suis un continuel je ne sais pas. Il y a tout à apprendre et je mendie l'existence quand je vais chez Rita ma psy toute puissance.

Sous une fenêtre mansardée dans l'appartement Haussmann. Fin d'après-midi. Je lui ai dit, comme un cri: je veux construire quelque chose avec toi. Les larmes montaient dans mes paupières, parce que je sens toujours que la vie est courte, c'est quelque chose en moi qui me hâte, me tire par le bras. Dans la chambre aux étoiles, au téléphone: j'ai oublié de dire quelque chose, moi aussi. Moi aussi je veux construire avec toi. Reste cette demande, littéralement sous clavière :
Pourrions-nous exister, cette fois?

Le monde m'effraie, me dégoute et me fascine à la fois. Puis la fascination est l'embryon de tout amour, et dans cette fascination qui répugne et attire, le monde m'effraie et je l'aime à la fois. Et dans ce monde toutes les nuits tombent sur des bouches contradictoires: qui murmurent oui et qui crient non, qui soupirent toujours et qui glapissent encore. Dans toutes les nuits c'est comme ça, dans cette bouche là, et toutes les autres. Quand ce jour à tes lèvres pourrait mourir mon peut-être pudique.


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